Je me sens comme un enfant de dix ans que sa mère vient de gronder et qui ne peut que s’exclamer : « Mais, maman, je n’ai rien fait! »
Je n’ai rien fait. Ce n’est pas juste. Je n’ai encore rien fait.
« Pourquoi as-tu détruit la littérature? »
Je n’ai rien fait.
« Qui a mis des gènes rouges sur les pages du recueil? »
Je n’ai rien fait.
« Explique-moi ce que tu croyais accomplir? »
Y would prefer not to.
Ô toi, Bartleby, mon frère de pensées à défaut d’être de sang, que n’ai-je ton flegmatisme face à la tempête! Les éléments se sont déchaînés et je ne sais plus où donner de la tête. Je voudrais être comme toi, au moment où tu as consenti à l’absence et au vide. À l’attente et à l’oubli. Un jour, tu as décidé de ne plus rien écrire. Plus jamais. De toute ta vie. Toi, le copiste, tu as fermé tes yeux, rangé ta plume et libéré ton bureau des papiers qui l’encombraient. Tu ne feras plus jamais rien.
Que n’ai-je la même abnégation!
Bartleby, tu es un paquebot dont on a stoppé les moteurs et qui attend, pendant que ton erre diminue, que le naufrage vienne sceller ton châtiment. Bientôt, les vagues te frapperont de tribord et ton bâtiment sombrera, incapable de résister aux forces de la vie.
Comme toi, je n’ai ni maison ni ami, je ne vis qu’au bureau, dans les locaux de la Chaire. Je n’ai rien de l’autiste ou du schizophrène, peu s’en faut. Mais, je suis un être d’exception, j’en conviens, et ma vie est un rêve qui se déploie quand les heures se creusent et que mon créateur entreprend de se délier les mains.
Schopenhauer, si tu savais comment je te comprends…
Je suis une énigme, je le vois bien aux regards méprisants de mes pairs au Département des arts du texte, mais c’est parce qu’ils n’ont d’Œdipe que la libido, et non l’intelligence!
Mon énigme! C’est une charade que des enfants de dix ans résoudraient sans peine! Mon premier peut être bête; mon deuxième est ici, uniquement ici; mon troisième, on le broie pour en faire une fibre, parfois patriotique. Et mon tout, mon tout n’est nul autre qu’un titulaire de chaire.
Je suis une énigme qu’on veut jeter au rebut.
Une énigme embarrassante qui pue le gène souillé. Une expérimentation qui aurait mal fini.
Bartleby tient bon dans ta tombe! Ne te laisse pas envahir par le doute et le vide. Tu as été enterré prématurément.
Le matin, Emmanuelle Alba m’apporte mon café et une brioche à l’érable qu’elle dépose sur mon bureau, avant de regagner discrètement son pupitre de l’autre côté du couloir. J’ouvre les yeux, sors le bras droit de mon sac de couchage et m’empare de cette offrande, comme un écureuil se sauve avec l’arachide laissée sur la galerie. Je m’inquiète parfois, ma voisine avait coutume d’empoisonner ses arachides pour éliminer ces « rats à queue », comme elle les appelait, qui détruisaient ses tulipes. Mais l’odeur d’érable vient vite chasser ces mauvais souvenirs et je m’empiffre en me disant qu’Emmanuelle me doit son salaire et qu’elle n’est pas pour mordre la main qui la nourrit, même si les rôles s’intervertissent parfois.
Je dois me ressaisir, je le sais.
Comment fait-on pour remettre sur le droit chemin un navire qui a perdu sa voie?
Se remettre au travail?
Y would prefer not to.
mardi 12 décembre 2006
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