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dimanche 29 avril 2007

En boire une, toute une.

Je suis confus.

J’ai reçu un billet, discrètement glissé sous ma porte. Et, depuis, je ne tiens plus en place. Mais qu’est-ce que j’ai fait? Rien, je le jure. Or, il semble bien que c’est de ça qu’on m’accuse. Rien. De l’inertie. J’aurais été insouciant au milieu de mes écrans, je n’aurais pas agi. Et me voilà sermonné comme un enfant.
J’ai conservé ce qui ne m’appartenait pas. Mais peut-on redonner un talisman?
Il est rare tout de même que la lecture d’un billet donne des palpitations! Mais j’ai fini de lire ce qui a été glissé sous ma porte, le front perlé de sueur et la chemise en lavette.
Mais où elle est cette tasse dont je n’aurais jamais dû me servir? Qu’ai-je fait de cette masse de terre cuite?
Un vulgaire récipient. On me fait la morale pour un récipient…

J’en étais à m’éponger le front, quand Emmanuelle Alba est entrée.
- Salut boss! Oh! boy, ça va pas fort à matin… (vous remarquerez la très grande familiarité de mon assistante, ça se dégrade avec les sessions.) Dites, avez-vous croisé un spectre? Vous êtes livide!

Pour toute réponse, je lui ai remis le billet.
Monsieur Lint, y était-il écrit,
Il y a quelques mois de cela maintenant, par empathie intellectuelle et universitaire, par compassion collégiale, je vous ai offert un café. Vous ne le savez peut-être pas, et ce serait compréhensible, puisque vous dormiez à ce moment-là. Or, ce café, il était dans une tasse qui m’appartient. (…)
Auriez-vous l’extrême amabilité de me la rendre, je vous prie?
Bien amicalement, cher collègue,
Victoria Welby



Vous savez tout. Elle veut ravoir sa tasse.

- Boss, c’est quoi cette affaire?, s’est exclamée tordue de rire Emmanuelle, que j’aurais bien assassinée sur place, n’eût été de ma profonde perplexité.
J’ai sorti du tiroir la pièce à conviction. La tasse. Une simple tasse à café. Elle ne pouvait pas s’en racheter une autre ? C’est quoi cette affaire : donne, dédonne, comme disait ma mère (en fait je n’ai jamais compris ce qu’elle voulait dire par là, mais bon, on fait ce qu’on peut avec son patrimoine génétique).
- Vous vous êtes servi de la tasse de Victoria W tout l’hiver ! Et vous n’avez rien dit ?
- J’étais censé faire quoi ?
- La vendre sur e-bay ! La lui redonner. La remercier. Ça vous a pas tenté de lui parler ?
- Je ne sais même pas qui c’est…
- Victoria W ? Arrêtez, boss… Sur quelle planète vivez-vous ?
- À l’UVAM.
- Ça va, on a compris. Vous êtes l’ovni de l’UVAM, oui ! Victoria W, c’est l’écrivaine en résidence du Département. Une vedette. Elle fait dans la littérature érotique.
- C’est bien ce qui me gène. Que va-t-on dire de moi ? J'ai lu quelques-uns de ses textes, j'ose à peine l'avouer.
- Mais quel prude ! Arrivez en ville, boss. On est au vingt-et-unième siècle. Plus personne n’a peur de la sexualité. Et c’est pas parce qu’elle fait dans l’érotisme qu’elle est un cochonne. Vous êtes drôles, vous les hommes. Vous pensez rien qu’au sexe et, quand une femme se donne la peine d’en parler, vous sautez immédiatement aux conclusions. Ou alors, vous voulez la sauter. Grow up, boss !

(Un ange passe.)

- Je fais quoi moi, alors ?
- Ben, c’est simple. Vous sortez de votre carapace, vous ouvrez la porte de votre chaire et vous vous rendez au bureau de Mme Victoria Welby lui remettre sa tasse.
- Juste comme ça…
- Vous en profitez pour la remercier, pour vous enquérir de sa santé, et vous l’invitez à aller prendre un café avec elle.
- Vous êtes folle! Me faire voir en public avec cette, cette…
- Cette quoi?
- Je ne sais pas.
- Une écrivaine? Une femme? Boss, déniaisez-vous. Vous rêvez de la littérature de demain et vous êtes même pas capable de regarder en face la littérature d’aujourd’hui. Ça vous ferait du bien un peu de, de, d’air frais, disons! Ça vous déniaiserait. Vous vivez dans vos fantasmes. Et ça commence à sentir mauvais dans votre chaire. Il est temps d’ouvrir les fenêtres.
- Elles sont verrouillées, je n’y peux rien.
- C’t’une métaphore, boss… Une figure de style. Et c’est juste une tasse...

J'ai chassé Mlle Alba de mon bureau. J'en avais assez de son insubordination.
Moi, Éric Lint (Lint comme dans pain ou main et pas comme dans print ou flint, je tiens ici à le préciser), titulaire de la Chaire de recherche en littérature transgénique, seule maître à bord, je dois prendre mon courage à deux mains et redonner à V. W. ce qui lui appartient.
Je me sens comme un enfant pris en flagrant délit.
Et, le pire, c’est que je m’ennuierai de cette tasse. J’avais appris à m’en servir. Elle était confortable. J’aimais y tremper mes lèvres. Le liquide restait chaud de longs instants. Les fines rainures étaient plaisantes, j’en ressentais la délicatesse dans la paume de mes mains. Sa forme était féminine. Et son anse, son anse n’était pas cassée.

Je ferai un homme de moi.
J’irai de ce pas lui rendre son dû.
Juste après ces dernières expériences qui m’appellent toutes affaires cessantes.

jeudi 15 février 2007

Le septième commandement

J’ai dû grincer des dents toute la nuit.

GRICHE GRICHE GRICHE

Je me suis réveillé et quand j’ai commencé à manger mon muffin du matin au son et à l’avoine (oui, oui, pour les raisons que vous imaginez), je me suis rendu compte que j’avais très mal à la mâchoire inférieure. La moindre mastication me faisait souffrir, comme après avoir été chez le dentiste, quand on a dû ouvrir tout grand la bouche pendant trois quarts d’heure et que, le lendemain matin, on en ressent encore les effets.
Je sais très bien ce qui m’a préoccupé toute la nuit, et vous pourrez peut-être, chère lectrice, me conseiller.
À quoi ressemble une pécheresse?
Je vous le demande.

La Bible n’est pas très claire sur le sujet. Marie-Madeleine, oui. Quelques femmes de basse fréquentation, itou. Saint Luc s’étend sur la parabole de Jésus et de la pécheresse qui, malgré l’ignominie de sa situation, se montre plus généreuse que le premier des comptables agréés (7, 36-50). Mais dans les faits, en chair et en os, à quoi ça ressemble?
Comment faire pour en reconnaître une et séparer, autre parabole à la clé, le bon grain de l’ivraie? Je pose la question car je suis indécis. Je n’arrive pas à me prononcer et je me sens concerné.
Si la pécheresse ressemblait à Mata Hari ou à Paris Hilton, ce serait facile. Les signes seraient là, comme un A sur la robe de Hester Prynne dans The Scarlet Letter de Hawthorne. Il suffirait d’être alphabétisé pour capter le subtil signal (comme nous ne sommes pas américains, malgré la proximité géographique, ce serait un P, comme pour « pécheresse » ou « péché » - it’s on my mind folks!).
Ce long préambule ne sert qu’à une seule chose: introduire mon dilemme.

Voici de quoi il s’agit :

Nous étions le premier décembre 2006. Je travaillais sagement dans mon bureau. Et je dis sagement en toute connaissance de cause. Je venais de passer le matin à rédiger un long billet pour expliquer à ma lectrice les rudiments de la littérature transgénique (LTG). J’avais même conclu, pour lui faire comprendre l’essence de mon procédé, que « la littérature transgénique sera aux lettres, ce que le cinéma est aux premiers phénakistiscopes. » Je n’étais pas peu fier de ma formule et la contemplais comme le flâneur s’immobilise devant une vitrine, quand subitement apparut une femme, vêtue d’une robe noire, comme dans un polar de Benjamin (Paul, pas Walter).

- Puis-je? m’a-t-elle demandé en s’introduisant dans mon bureau.

Je lui ai fait un geste indistinct de la main et grommelé un très imprécis « m’ouais ouais ouais ouais ». Je n’aime pas, comprenez-vous, qu’on pénètre dans mon espace personnel, du moins sans y être formellement invité, et cela deux jours à l’avance.
Elle a posé son café et son portable sur le bout de ma table, espace récemment libéré par votre humble serviteur, suite à une attaque subite de nettoyage (enfin de session, on devient tous très nerveux.) Et elle s’est mise à pianoter, comme si je n’étais pas là et que cette table ne faisait pas partie de ma chaire. Elle tapochait consciencieusement sur son clavier. J’ai décidé de l’imiter et suis retourné nonchalamment à mon propre ordinateur. Il n’aura pas été dit que, dans ma chaire, il y avait quelqu’un d’autre que moi aux commandes.

- À quoi travaillez-vous? a-t-elle fini par me demander, attirée par mon indifférence.
- Je fais de la littérature transgénique.
- Et qu’est-ce que c’est?

Je n’ai eu d’autre choix que de reprendre mon explication. La LTG, le protocole TRANSLIT, la CRLT.
Évidemment, je me suis emporté. Mais qui ne le ferait pas dans de telles circonstances? Elle m’a déclaré avoir elle-même sa propre production, un truc lié à la philatélie, si j’ai bien compris, ou aux phylactères, ces talismans égyptiens.

À ce moment, je n’ai eu qu’un seule envie : fuir impérativement. La présence de cette pécheresse dans ma chaire perturbait mes sens et cet équilibre que de longues nuits de méditation m’avaient permis d’établir entre mon corps et son esprit. J’ai cru déceler dans son regard le tout premier signe, mais de quoi? Je ne sais pas. Je préfère ne pas le savoir. Ce qui est sûr par contre, c’est qu’un vent de panique a soufflé sur ma chaire et je me suis envolé, comme les feuilles à l’automne lors de bourrasques.

À mon retour, je me sentais penaud, il va sans dire, et secoué. Mais, trouvant mon bureau vide, j’étais aussi soulagé. Je pouvais reprendre mes tâches là où je les avais laissées.

(à suivre)

jeudi 8 février 2007

More thèse, please!

Une lectrice me demande: "pourquoi voulez-vous obtenir un doctorat de l’Université de Napierville, si vous en avez déjà un? Vous aviez en effet déclaré, dès le tout premier billet : 'On ne consacre pas une vie entière à des balivernes, un doctorat en main et une chaire de recherche en banque.’ Que dois-je en penser ? Vous menez-nous en barque depuis le début ?"

Chère lectrice, si vous saviez comme votre missive me fait du bien. Elle me dit : quelqu’un me lit! Quelqu’un ne porte pas une attention distraite à mes écrits, mais au contraire les accueille avec intensité, avec profondeur, avec une mémoire que le poète Simonide lui envierait. Et Cicéron à sa suite, et Lulle et Bruno et toute cette ribambelle de joyeux lurons qui n’avaient d’autre occupation que de s’inventer des théâtres imaginaires qu’ils peuplaient des pensées les plus hétéroclites.
Je digresse, mais n’ayez crainte, chère demoiselle, car je vous imagine aisément belle et désirable, pas une blonde (je n’ai que faire des blondes!), non, une petite noire m’irait très bien, avec des grands yeux facilement émerveillés et un visage alerte qu’illuminent spontanément les marques de la surprise, n’ayez crainte donc, je n’essaie pas de vous perdre dans les rets de mes stratégies d’évitement. Je ne tente même pas de gagner du temps, réfléchissant à toute vitesse à ce qu’il conviendrait de répondre à de telles accusations sans fondement.
Rien de tout cela. Que Freud m'en soit témoin!
Il est vrai que j’ai cherché à déposer ma thèse dans une université de la province.
Il est vrai que j’ai voulu déposer à nouveau, la précision est ici importante, le résultat de mes recherches et le fruit de mon labeur intellectuel. Et je l’ai fait afin d’éviter toute remarque désobligeante sur mon diplôme, que d’aucuns m’accusent d’être allé chercher dans une université illégitime, ce qu’on appelle communément un « Diploma Mill », un moulin à diplôme (l’expression appelle spontanément l’image de don Quichotte, armé de sa lance et attaquant sans arrière-pensée et sans grande intelligence, il va sans dire, un moulin à vent contre lequel il s’emporte et qu’il confond sans peine avec un géant dormant – je n’en rate vraiment pas une : une porte avec un géant penne dormant…).


Où en étais-je? Ah oui.
La sagesse populaire nous dit qu’à être trop pressé, on confond le bon grain et l’ivraie et l'on s’égare dans l’ivresse du gain (I’m on a roll!). Et j’ai cédé à la tentation. J’avoue et je m’en confesse. J’avais remarqué sur la très vaste toile de l’Internet des offres de diplômes, ni trop exorbitantes, ni trop exotiques. Un site entre autres offrait des diplômes de doctorat, des Ph.D., comme on dit. Il suffisait d’envoyer un manuscrit « original » de plus d’une centaine de pages, quelle qu’en soit la langue, pour recevoir par retour de courrier ledit document finement imprimé comme un parchemin.
Je croyais tout de même qu’on lirait ma thèse, que je la déposerais en bonne et due forme et qu’un véritable doyen donnerait son imprimatur. Je rêvais d'une soutenance de thèse où je me serais tenu droit comme un lampadaire, drapé de ma toge de futur docteur...
Je ne pensais pas qu’il s’agissait d’une fraude complète.
Mon diplôme m’a valu le poste dont je sais qu’il me revient de droit. Mais le doyen a demandé de revoir mon diplôme (mais quelle mouche l’a piqué?) et c’est là que j’ai entrepris des démarches auprès de la Napierburg Universität.
J’aurais pu faire comme d’autres et prétendre, par exemple, que mon diplôme s’était perdu en mer, expliquant que le bateau sur lequel mes malles se trouvaient avait sombré dans l’Atlantique et que l’Université qui m’avait décerné le diplôme avait elle-même brûlé, carbonisant avec elle toutes les traces de mes études passées (quelles sont les chances qu’une telle suite d’événements se produise? Je vous le demande! Si ça m’était arrivé, je me serais vite rendu au dépanneur le plus proche pour me procurer un billet de loterie! Et un double à part ça! Avec extra et tout le tralala).
Mais je ne l’ai pas fait. Je n’ai rien répondu à mon doyen.
J’ai tenté plutôt de me trouver un nouveau diplôme, nouveau et amélioré, avec les conséquences que l’on connaît.
Mais je n’ai pas dit mon dernier mot.
Est-ce que, gentille lectrice, une telle réponse vous suffit?
Éric Lint vous salue.

vendredi 19 janvier 2007

La poignée


Mon épiderme n’offre qu’une très faible résistance aux coups de semonce d’un monde qui confond savoir et savon.

J’aimerais me plaindre ici officiellement du clientélisme qui sévit chez nos jeunes gens qui peuplent les classes que nous devons donner pour remplir nos obligations contractuelles. Depuis leur enfance, on leur a appris à se comporter comme des clients. Ce ne sont plus des étudiants, mais des consommateurs. On ne leur donne plus des cours, on leur offre des services et des produits.
Je m’excuse : je suis un professeur d’université, pas un vendeur de chars usagés, qu’on se le tienne pour dit. Je ne dispense pas un service, j’essaie de transmettre un savoir.

Puis-je sortir de mes gonds quelques instants?
Merci, mesdames.

C'est un grave malheur pour l’éducation contemporaine, et plus encore pour l’humanisme occidental (dont je suis, après tout, un représentant) que cet uniforme et vil prurit de consommation de masse effrénée et compulsive... Notre goût en est si profondément perverti et nous sommes devenus si impatients de satisfaire ainsi notre concupiscence que seule la part la plus superficielle et la plus charnelle des enseignements pénètrent les consciences: les digressions subtiles et les secrets enseignements s'évaporent comme des djinns, les lourdes moralités se précipitent et nous échappent, les unes et les autres étant de la sorte aussi perdues pour le monde que si elles fussent restées au fond de l'encrier.
Et ce n’est pas moi seul qui le dit!

Mais quelle mouche a piqué Éric? demande l’auteur de ces lignes, qui se font dans la masse anonyme des sternes du St-Laurence.
Qu’on en juge par l’extrait suivant :

Acte 1, scène 2
(didascalie : Éric Lint (EL) est dans son bureau, à la Chaire, il est furieux et tente tant bien que mal de se retenir. En face de lui, un étudiant indolent (IE), plutôt volumineux et aux cheveux gras, est avachi sur une chaise…)
EL : Mon enfant, vos lectures n’ont pas été faites. Votre assiduité au cours est nulle. Expliquez-vous!
IE : Man, de quessé? T’te dois rien.
EL : C’est un cours que vous suivez, pas un spectacle. Je m’attends à votre présence en classe. Je n’accepterai plus aucune absence.
(Remarquez le ton digne et retenu, malgré la colère qui pointe son vilain nez à l’horizon, du professeur Lint dans cet échange.)
IE : Fuck! J’viens si ça m’tente, cé toute!
(C’est, vous l’aurez compris, une transcription approximative des propos incohérents de l’étudiant. Je n’ai pas encore tout à fait maîtrisé l’art abscons de la translittération.)
EL : C’est plutôt une obligation. L’entente d’évaluation a été acceptée. Vous y êtes liés.
IE : Ouain, si j’trouve ça plate… J’fais quoi? Hein?
EL : Ce n’est « plate », comme vous dites, que parce que vous ne suivez pas. Pensez-vous que je ne vous ai pas vu lire le journal et jouer avec votre téléphone à poche! Ou vous décrotter le nez! Plate? Je suis épaté par votre ineptie.
(Remarquez, chères lectrices, le subtil jeu de mot.)
IE : Man, j’fas ce que j’veux!
EL : Justement non. Vous avez des devoirs.
IE : KMA!, si j’achète un char, je dois rien au concessionnaire! Si je fais pas les mises au point, cé d’mes affaires. Cé mon char! Pis lui y a rien à redire. Si cé mon trip de le scraper, fuck lé… Cafaque… sté!
EL : Un cours à l’université n’est pas une auto! Ce n’est pas un gadget. Quelle idée! Vous n’avez rien acheté, vous avez payé pour un privilège. Un privilège! Or, le savoir implique des responsabilités.
IE : Y é plate ton cours, man, on charche yinque des bébites danlé textes. Ça veut rien dire. Cé d’la marde.

(La suite se passe de commentaires. Disons pour faire bref que le professeur Lint a perdu patience et que les niveaux de langue se sont subitement ajustés. Une méchante débarque, si vous voulez mon avis.)

J'ai imposé un châtiment à cet indolent étudiant : les coups de fouet n’étant plus permis, je l’ai exclu d’emblée de mon séminaire et de toutes les activités de la Chaire de recherche en littérature transgénique.
Ce ne fut ni par tyrannie, ni par cruauté, mais par le meilleur des motifs, je ne m'en excuserai donc pas auprès du directeur du département, qui a été aussitôt averti de l’esclandre. Je veux combattre le goût malsain qui s'est insinué dans l’esprit de cet étudiant et dans mille autres et qui les porte à prendre le savoir pour un vulgaire machin à dix sous, tout aussi facile à jeter qu’à se procurer. L’érudition n’a rien à voir avec l’éructation. Et je n’aime pas qu’on me prenne pour une valise.
Il y a des limites…

vendredi 12 janvier 2007

Thèse: the Reply

Je suis estomaqué. Et je choisis mes mots sans grande précision. J'aurais pu dire: je me sens bafoué, vilipendé, assommé, conspué, ridiculisé.

La réponse de l’Université de Napierville fut prompte, mais décevante.

Pour je ne sais quelle raison, cette très imaginaire insitution a refusé d’accueillir ma thèse. REFUSÉ. On serait frustré à moins.

Parce que j’ai juré de tout dire, je reproduis les lettres de M. Pérec.

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Cher Monsieur,

Obvieusement, vous avez, de l'Université de Napierville, une vision découlant de plusieurs heures de lecture.
Permettez qu'en contrepartie, nous fassions de même en étudiant ce que vous avez publié sur internet et dès que ce sera fait, nous vous reviendrons.
Mettons d'ici vingt-quatre heures.
En attendant, nous vous saurions très reconnaissant, si ce n'est déjà fait, de consulter la page suivante qui résume notre «transgénie» à nous : ailleurs

Obédieusement vôtre,

Herméningilde Pérec
Secrétaire

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Cher Éric,

Je n'ai surtout pas voulu vous lire dans un ordre autre que celui que vous avez utilisé et que vos «correspondants» (?) vous ont, il m'a semblé à un moment donné, imposé.
Si j'ai bien compris, le tout, sur votre site, commence par un texte intitulé «Les rudiments» daté du 18 novembre 2006.

Ce texte se poursuit par un autre intitulé «Les rudiments bis» daté du 21 et puis ont suivi :
- Ancêtres transgéniques (24 nov.)
- Au-delà du plagiat (26 nov.)
- Law and Order (29 nov.)
- Patience ! Please (non daté)
- Test no. 237 ou «La révocation de Lady Denante» (1 déc.)
- Défense et illustration (5 déc.)
- Communiqué de presse (non daté)

Pour se continuer par «Défense et illustration, prise 2» (8 déc.)

Faut-il ajouter que j'ai lu, je crois, tous les commentaires (mais rapidement, ceux-là).
Est-ce que j'ai bien suivi ?
Sinon, dites-le moi.

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Ma réponse à votre question, à savoir si votre thèse peut faire partie de celles qu'on défend présentement à l'UdeNap est non, mais un non avec beaucoup de nuances.
D'abord, laissez-moi vous dire que c'est un plaisir de vous lire car, sauf quelques reproches à vous faire en ce qui a trait aux explications que vous vous sentez obligé de donner (et que je comprends étant donné le sujet traité), le texte est limpide, bien structuré et d'une rare qualité (enfin : de nos jours).
L'idée, elle, n'est pas neuve. - Je suppose que vous connaissez l'OULIPO.
On y a déjà publié, ou par son entremise, des poèmes d'une rare qualité fabriqués à partir de vers de différents poètes (suffisait d'entremêler les rimes) dont certains - je pense à ceux qu'on a fait à partir de vers de Baudelaire - dépassaient presque ceux que Baudelaire lui-même a pu écrire. Faudrait relire Perec également qui, à l'intérieur de sa Vie, mode d'emploi s'est servi d'anecdotes et de citations qu'avec un peu de patience, on retrouve chez la plupart des auteurs classiques. Il y a même mêlé la peinture, l'architecture et les arts du spectacle, avec brio.
Rien d'anormal (ni même de répréhensible) à vouloir continuer dans la même veine sauf que - et là je vous fais un reproche tout personnel car, hélas, je suis peu versé dans la littérature contemporaine - j'ai cru lire dans vos projets des mélanges auxquels il faudrait être très connaisseurs pour s'y retrouver : Zola et Potter, par exemple. (Je connais Zola mais pas Potter et je me demande qui pourrait rendre Zola intéressant aujourd'hui.)
Dans un certain sens, comparer cela à des tomates qui ne gèlent pas, encore faudrait-il savoir le goût des tomates qui, elles, gelaient, ce qui est devenu de plus en plus rare...
Mais tout cela est d'une critique décourageante, c'est-à-dire que, si je me permets de questionner la méthode, je ne remets vraiment pas en question l'utilisateur ou, si vous préférez, l'inventeur de ladite méthode.
Le principe, voyez-vous, du moins tel que je le conçois (et vous pouvez à cet égard questionner ma conception et ma méthode), c'est qu'on ne lit pas des textes mais un auteur et puis, pour citer Proust, on ne lit pas non plus l'auteur mais soi-même et, en ce sens, je ne sais pas si ce que vous êtes finira par «passer» à travers vos textes et, en conséquence, si un lecteur finira par se comprendre en vous lisant.
Mais tout cela est une autre histoire.
En d'autre mots : lire Zola, oui, lire Potter, oui ; mais lire Éric Lint à travers Zola et Potter, je ne sais pas sauf si c'est très évident.
Ce que je voudrais vous dire, quand même, c'est que si votre théorie est valable, il ne reste qu'une seule chose à faire : c'est de le mettre en pratique et non pas la cerner, la définir ou la transmettre sous la forme d'une thèse à moins que la thèse, elle-même, soit le fruit de votre façon de concevoir la littérature d'aujourd'hui, une sorte de méli-mélo où tout se publie et dans un désordre si total qu'on puisse facilement retenir de deux romans l'équivalent d'un seul.
Alors là ce serait publiable mais avec combien d'exemples !
Le Misanthrope empruntant La Machine à voyager dans le temps de Wells en est un qui me vient à l'esprit.
Quoi qu'il en soit, ne vous sentez pas rabattre par un vieux fou qui se perd dans ses propres méandres et qui, comme vous, a été un grand lecteur dans l'infini mais qui commence à trouver l'infini bien petit depuis quelque temps...
Vous pourriez écrire un conte à partir de, je ne sais pas, moi, Maupassant ET Voltaire ?
Ça, ça m'intéresserait.

Au plaisir de vous relire et, surtout, ne vous gênez pas pour me dire votre façon de penser,

Herméningilde Pérec

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Malgré tous les compliments, que je reçois avec modestie, il va sans dire, c’est quand même un non… Ils ne veulent pas de ma thèse.
Un autre NON !
Ils se multiplient comme des lapins.
Des lapins verts fluo à la Lewis Carroll.
Pour l'OULIPO, je répondu du tac au tac: me demander si je connais, c'est comme demander à Ève si elle a déjà mangé de la tarte aux pommes... Non mais, quand même!

Thèse, taisez-vous!

Dans le but d’assurer ma crédibilité et de faire taire toutes les méchantes langues qui s’affairent dès que j’ai le dos tourné (imaginez!), j’ai cherché à inscrire ma thèse dans une université réputée. Il n’était question que j’entache ma réputation à l’UVAM, j’ai donc choisi la très circonspecte Université de Napierville, réputée pour ses cours de culture générale et son Département des études littéraires. J'aurais pu choisir un de ces "diploma mills", très présents sur Internet, mais j'ai préféré un produit local et francophone.

N’écoutant que mon courage et la pression du directeur de mon département , j’ai envoyé une missive au distingué Herméningilde Pérec.

Voici en fait ce que je leur ai envoyé. Et je croise les doigts…

--

Cher M. le secrétaire général,

j'aimerais, par la présente, déposer ma thèse à l'Université de Napierville, que je considère être une institution de très haut calibre. En tant que titulaire de la Chaire de recherche en littérature transgénique, il m'apparaît indispensable d'être lié à l’un de vos programmes.

Voici les données essentielles de ma thèse qui, j'espère, saura vous plaire.

Titre de la thèse
Pour une littérature transgénique : expérimentations en vue de la création d’une nouvelle forme littéraire adaptée au XXIe siècle

Catégorie : théorie littéraire

Domaine : culture contemporaine

Auteur : Éric Lint, votre humble serviteur

Directeur de thèse : qui que ce soit (je ne serai pas regardant)

Résumé: L'auteur entreprend de démontrer, à partir d’un ensemble d’expérimentations, l’utilisation de greffes transgéniques littéraires. Le principe est simple: s’il est possible d’implanter des gènes de saumon dans des tomates, il doit être possible d’insérer des gènes du Château de Franz Kafka dans Trente Arpents de Ringuet, par exemple, ou des gènes de Lolita de Vladimir Nabokov dans Guerre et paix de Tolstoï, voire des gènes de L’Etranger d’Albert Camus dans La fille laide d’Yves Thériault. Grâce au protocole TRANSLIT, dont les prémisses sont développées dans sa thèse, l’auteur entend créer une littérature transgénique.
La littérature transgénique sauvera l’avenir des lettres, durement menacées par la culture de l’écran, en proposant aux lecteurs de demain des œuvres adaptées à leurs attentes et besoins, puisque créées à leur attention.

Voilà !

Si vous désirez obtenir plus de détails, je vous invite à vous rendre sur le site officiel de la Chaire de recherche en littérature transgénique dont j'ai l'infime bonheur d'être le titulaire.

Je vous remercie à l'avance de l’attention que vous porterez à cette requête.

Éric Lint
Département des arts du texte
Université de Villeray à Montréal

--

Comme vous pour le constater, j'ai mis mes gants blancs. Mais on n'a pas tous les jours l'occasion de faire une première impression (c'était le slogan, si je ne m'abuse, d'un shampoing contre les pellicules... Mais il y a des lapalissades dont on ne se sépare plus).


mercredi 27 décembre 2006

L’anse déçue


Noël est une fête chrétienne et je me sens païen jusqu’à la moelle.
Je me veux étranger à toute cette agitation qui secoue les portefeuilles et assène des raclées aux râteaux de ce monde.
J’ai le jeu de mots mauvais.
À ma décharge, il faut dire que je me sens comme une vieille tasse à laquelle il manque une anse. Je crains qu’on ne sache plus comment me prendre et je suis là, comme un benêt sur mon étagère, à attendre dans le noir que la porte s’ouvre. Et quand enfin une main généreuse consent à faire de la lumière et à se tendre vers l’une de ces orphelines cachées dans le placard, je ne suis jamais choisi, sauf pour les basses tâches… La tasse sans anse sert aux travaux ménagers et aux préparations culinaires.
Où est l’ange qui me redonnera mon anse?
Il est déchu et je suis déçu.
Emmanuelle Alba est en vacances avec son amoureux. Un futur diplômé des arts du texte! Un spécialiste de la poésie concrète et répétitive. Ils se sont loué un chalet dans les Basses Laurentides et Dieu sait à quelle luxure ces moments de stupre volés au quotidien harassant des pratiques textuelles universitaires donnent lieu! Je n’aime autant pas y penser. Je suis trop vieux pour elle, mes formes de plus en plus lourdes ne mentent pas, mais je ne peux m’empêcher de rêver à de basses œuvres sur ses formes angéliques.

Triste ère. Oui, je suis un triste hère. Mon air est triste. Et de mon triste pas, j’erre et je gère ma tristesse. Je me suis emballé, ce midi, un cadeau. Un livre qui traînait dans la bibliothèque et que j’ai choisi pour sa couverture rouge. Il me fallait bien mettre quelque chose au pied de mon arbre en papier! Je suis païen, mais pas vaurien.

Je me suis dit que la meilleure façon de lire ce livre depuis longtemps abandonné, comme s’il lui manquait une anse, était de me le redonner, de faire comme s’il était neuf afin de lui restituer une aura.
Je tenterai, en l’ouvrant, de feindre la surprise, de me remercier pour cette belle attention, de le feuilleter, reconnaissant avec bonheur des mots et des pensées que je pourrai faire miens. Mais, en mon for intérieur, la déception sera grande. Quoi? Cette vieille chose! Me la remettre dans les mains, moi qui avais tenté de l’égarer au fin fond de mon bureau, dissimulée entre des rapports annuels et des numéros de revues savantes reçus gratuitement…
Le passé n’en finit plus de réapparaître avec son air de conquérant.

Des mauvaises langues diront que ma littérature transgénique, dont je rêve la forme entre deux moments de spleen, n’est rien d’autre que ce livre que je me redonne espérant ainsi en réinventer la magie, quand elle a disparu tout aussi assurément que l’enfance vient à passer. Mon projet est une forme avancée de mélancolie, un refus d’affronter l’avenir. Mais c’est faux. Archi faux comme une pièce de Marivaux.
Je ne tiens pas au passé, c’est l’avenir que je vise. Un avenir où les souvenirs ne dépendront plus de la vie qui a été vécue, et dont on regrette amèrement les ratées, mais du présent qui a été rêvé dans les pages d’un livre qu’on s’est redonné à soi-même, comme le plus essentiel des cadeaux. Vous me direz, avec Valéry, que l’avenir n’est plus ce qu’il était. Je les confondrai, ces sceptiques! L’avenir sera fait d’hauteurs béantes et de fréquentes chutes de neige.
Tout sera blanc.
Et je serai heureux.

Glacé, mais heureux.

mardi 12 décembre 2006

Y would prefer not to.

Je me sens comme un enfant de dix ans que sa mère vient de gronder et qui ne peut que s’exclamer : « Mais, maman, je n’ai rien fait! »
Je n’ai rien fait. Ce n’est pas juste. Je n’ai encore rien fait.

« Pourquoi as-tu détruit la littérature? »
Je n’ai rien fait.
« Qui a mis des gènes rouges sur les pages du recueil? »
Je n’ai rien fait.
« Explique-moi ce que tu croyais accomplir? »
Y would prefer not to.

Ô toi, Bartleby, mon frère de pensées à défaut d’être de sang, que n’ai-je ton flegmatisme face à la tempête! Les éléments se sont déchaînés et je ne sais plus où donner de la tête. Je voudrais être comme toi, au moment où tu as consenti à l’absence et au vide. À l’attente et à l’oubli. Un jour, tu as décidé de ne plus rien écrire. Plus jamais. De toute ta vie. Toi, le copiste, tu as fermé tes yeux, rangé ta plume et libéré ton bureau des papiers qui l’encombraient. Tu ne feras plus jamais rien.
Que n’ai-je la même abnégation!

Bartleby, tu es un paquebot dont on a stoppé les moteurs et qui attend, pendant que ton erre diminue, que le naufrage vienne sceller ton châtiment. Bientôt, les vagues te frapperont de tribord et ton bâtiment sombrera, incapable de résister aux forces de la vie.
Comme toi, je n’ai ni maison ni ami, je ne vis qu’au bureau, dans les locaux de la Chaire. Je n’ai rien de l’autiste ou du schizophrène, peu s’en faut. Mais, je suis un être d’exception, j’en conviens, et ma vie est un rêve qui se déploie quand les heures se creusent et que mon créateur entreprend de se délier les mains.
Schopenhauer, si tu savais comment je te comprends…

Je suis une énigme, je le vois bien aux regards méprisants de mes pairs au Département des arts du texte, mais c’est parce qu’ils n’ont d’Œdipe que la libido, et non l’intelligence!
Mon énigme! C’est une charade que des enfants de dix ans résoudraient sans peine! Mon premier peut être bête; mon deuxième est ici, uniquement ici; mon troisième, on le broie pour en faire une fibre, parfois patriotique. Et mon tout, mon tout n’est nul autre qu’un titulaire de chaire.
Je suis une énigme qu’on veut jeter au rebut.
Une énigme embarrassante qui pue le gène souillé. Une expérimentation qui aurait mal fini.
Bartleby tient bon dans ta tombe! Ne te laisse pas envahir par le doute et le vide. Tu as été enterré prématurément.
Le matin, Emmanuelle Alba m’apporte mon café et une brioche à l’érable qu’elle dépose sur mon bureau, avant de regagner discrètement son pupitre de l’autre côté du couloir. J’ouvre les yeux, sors le bras droit de mon sac de couchage et m’empare de cette offrande, comme un écureuil se sauve avec l’arachide laissée sur la galerie. Je m’inquiète parfois, ma voisine avait coutume d’empoisonner ses arachides pour éliminer ces « rats à queue », comme elle les appelait, qui détruisaient ses tulipes. Mais l’odeur d’érable vient vite chasser ces mauvais souvenirs et je m’empiffre en me disant qu’Emmanuelle me doit son salaire et qu’elle n’est pas pour mordre la main qui la nourrit, même si les rôles s’intervertissent parfois.
Je dois me ressaisir, je le sais.
Comment fait-on pour remettre sur le droit chemin un navire qui a perdu sa voie?
Se remettre au travail?
Y would prefer not to.