samedi 24 février 2007
M. Daizoux Nosnay
Chère lectrice,
Jusqu’où se loge l’incrédulité?
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je reçois de ces lettres, de ces lettres qui me sidèrent. Voilà…. Sidéré, je suis, comme une tige de fer.
Et je crie.
Oui, le sidéré rugit: trempez l'acier! Trempez!
Mais pour qui se prennent-ils? Et surtout, pour qui nous prennent-ils?
Avons-nous des poignées dans le dos? Ou deux cornes sur le front? Nos boîtes de courriel sont-elles des décharges publiques? Sommes-nous à ce point crédules que le plus niais des malfrats pense nous soutirer sans vergogne le fumet de nos assiettes de sous nos nez?
Je m’arrête là. Mes questions pourraient s’étirer ad nauseam. Et c’est sans compter les vôtres…
Je m’inquiète tout de même des quatre derniers mots de ma phrase. Est-ce conforme au bien parler? Aurai-je dû plutôt écrire « de dessous nos nez » ou « du dessous de nos nez »? J’ai du pif pour ces choses, habituellement, mais là je ne sens rien. Je fais un appel à tous! Ou alors un pied de nez. Ha!
Autre chose : pourquoi les mots se terminant avec un z sont-ils invariables?
Est- ce un privilège accordé à la dernière lettre de l’alphabet? Selon le vieux principe des derniers qui sont les premiers… Je ne sais pas.
J’ai du flair, c’est sûr, j’aime assez le riz au merguez et le jerez chauffé au gaz; mais il n’y a pas de quoi fredonner un air de jazz, en portant un fez comme dans le showbiz.
Où en étais-je?
Ah oui. J’ai reçu cette divine missive (mais je ne doute point que vous l’ayez reçue vous aussi. Quel festin! Et vous ne m’en voudrez pas d’ajouter quelques commentaires savants entre crochets).
Bonjour,
je suis M. Daizoux Nosnay [pour ma propre protection, j’ai choisi de trouver à cet homme un pseudonyme], cadre à la Banque [name withheld] de Côte d'ivoire. Permettez moi de vous dire que je ne crois pas au hasard [Sans blague! Il croit plutôt à la distribution massive de pourriels…] et que toute chose arrive car le destin le permet [le destin est un serveur, et nous sommes ses fidèles]. J'ai découvert [« inventé de toutes pièces à l’instant même » serait plus juste, mais nous ne sommes pas à un mensonge près… J’en compte déjà sept !] des fonds abandonnés [comme un enfant au fond d’un puits] d'un montant de 18.5 millions de dollars [il faut que le montant soit élevé pour allécher l’ours mal léché] que notre banque est sur le point de reconvertir dans son trésor propre car, selon le règlement intérieur et les statuts [j’aimerais bien les voir ceux-là !], toute somme d'argent non réclamée au delà d'un certain nombre d'années est reconvertie dans le trésor de la banque [vite! Jouons à Robin des bois et allons voler aux riches l’argent qu’ils sont en train eux-mêmes de nous dérober].
Cet argent appartenait [qu'est-ce que je disais?]à l'un de nos clients ALLEMAND d'origine qui trouva la mort avec toute sa famille dans un accident d'avion [évidemment, petit a, un Allemand, pourquoi pas un nazi tant qu’à y être! Un négationniste, un hors-la-loi, un tueur… ; et petit b, bien sûr –où serions-nous sinon! –, un accident d’avion où tout le monde a péri. Tout le monde. L’Allemand et ses héritiers… On se croirait dans une série américaine. Anna Nicole Smith, white courtesy telephone.]
Je vous ai donc contacté pour qu'ensemble nous fassions sortir ces fonds de ce pays [Ça coule de source ! Pourquoi un inconnu d’un pays africain ne m’offrirait-il pas de devenir riche juste en répondant à son pourriel? On a vu de plus étranges choses dans notre univers, un octogénaire marier une playmate siliconée, par exemple]…
Sachez que j'ai pris toutes les dispositions utiles pour la réussite de cette affaire autrement je ne perdrais pas mon temps et le vôtre [il veut simplement me faire perdre tout mon argent!].
Un détail important [là, c’est sublime!] gardez la discrétion autour de cette affaire [non mais quand même : ne dites-le surtout pas à votre mère que vous êtes sur le point de vous faire plumer, d’un coup qu’elle s’y opposerait…] et ne permettez pas que la banque sache que c'est moi qui vous fournis toutes ces informations au risque de compromettre la transaction dans laquelle j'ai investi beaucoup d'argent, d'efforts et de temps.
Dans l'attente d'une réponse favorable, je vous adresse mes fraternelles salutations.
etc. etc. etc.
Je vous cite celle-là, chère lectrice, mais j’en ai d’autres en réserve, que je relis le soir, quand plus rien ne m’amuse et que le sommeil se fait tout aussi discret qu'un théorème pythagoricien. Le scénario est toujours le même: quand ce n’est pas un cadre de Côte d’ivoire, c’est une poignée de porte du Libéria ou une fenêtre du Congo. C’est la veuve éplorée d’une dictateur égorgé, la fille d’un sanguinaire chef, la cousine par alliance d’un homme d’affaires décapité, le fils illégitime d’un ministre qui a pied son pied sur une mine, le meilleur ami d’un somnambule qui s'est défénestré, l’arrière petit-fils d’un Boer qui a mangé du sanglier empoisonné, l’amie de cœur d’un séducteur, et j’en passe des meilleures. Ils sont prêts à échanger quelques milliers de dollars pour des millions. Des sous pour des diamants. Ils ne veulent que vos données personnelles, afin de mieux vous les soustraire. Ce ne sont pas des banquiers, mais des caïds, des kids de la guérilla, adeptes du quiproquo et de quittance.
Est-ce que quelqu’un se fait vraiment avoir avec ces lettres?
Est-ce qu'une bonne âme, naïve et solitaire, ouvrant son logiciel de courrier électronique, un soir de vacance cérébrale, parvient vraiment à se convaincre du sérieux de ces propositions et entreprend en toute quiétude, tandis que du Chick Corea joue en sourdine, de mordre à l’hameçon?
Le cyberespace est le lieu de toutes les supercheries. J’en sais quelque chose. Mais, enfin, chère lectrice!, il y a des supercheries amusantes et sans danger, des tissus de mensonges qui ne servent qu’à une seule chose, et c’est se moucher le nez. Et il y en a d'autres, qui nous attaquent à ce bien que nous avons de plus cher, et c’est notre intégrité.
Peut-on vraiment les confondre ?
Je pose la question, avant de fermer les yeux, ébloui par le soleil de la vérité.
La chaire m’appelle.
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