J’ai des absences, je l’avoue.
Je ferme les yeux et je disparais, littéralement, de la face de la terre.
Mon esprit part à l’aventure, je croise des paysages hallucinés faits de voiles noirs, de cahiers rouges, d'idiots qui ne parviennent pas à compléter leurs phrases, de maisons de feuilles, de démons et d'enfants qui avalent des grenouilles. Vivantes.
C’est confus, sombre aussi parfois, et très dense.
Nathaniel, Paul, William, Mark, Fyodor et John. Ce sont mes apôtres.
Et j'ai les mains gercées.
Quand je me frotte les yeux, un feu s’allume et je vois un livre brûler. Un autodafé imaginaire. Mais la brûlure est réelle.
Je commence à recoller les morceaux.
TESSON N°1
Caroline.
Le premier éclat, c'est Caroline, cette jeune fille qui est passée à mon bureau. J’ai déjà commencé à le raconter. Mais elle est revenue, et quel cadeau elle m’a laissé! Quel cadeau… Ma vie n’est plus la même depuis.
Je travaillais d’arrache-pied à compléter mon expérimentation sur un hypnotexte, le treizième de la série, je crois, quand elle est réapparue. Un peu plus sale, ses cheveux totalement dépeignés, les joues rougies par l’épuisement. Elle sentait la suie.
Dessine-moi une couleuvre, m’a-t-elle demandé. Et moi, l’idiot, je l’ai avalée. Je l’ai avalée. Je l’ai avalée.
- Vous m’avez dit que vous pouviez changer les histoires, m’a-t-elle supplié en entrant. Leur ajouter des choses, modifier la fin ou le début.
Et moi, j’ai acquiescé. C’est le propre du protocole TRANSLIT de modifier les textes. Je ne pouvais pas dire le contraire…
Elle a sorti de sa poche un étrange cahier. Un Canada, aux pages désuètes. Les bords en étaient brûlés, la couverture maculée, le tout sentait affreusement mauvais.
Elle l’a déposé sur ma table, dans un geste de défiance.
- C’est un journal, m’a-t-elle confié. C’est le journal de Tamaracouta.
- C’est quoi, un nom de rue?
- Non. C’était mon amie. Elle connaissait l’heure de sa mort et a tout raconté là-dedans. Tout est vrai. Je l’ai lu et je l’ai connue. Elle est morte exactement comme elle l’a écrit.
- C’est plutôt incroyable, lui ai-je répondu, sceptique. J’ai beau croire à la littérature transgénique, ça ne fait pas de moi une valise.
- C’est un livre magique! m’a-t-elle affirmé du haut de ses onze ans.
C’était, comment dire, émouvant ou alors amusant. Je ne sais plus.
-Tamaracouta et son texte ne font qu’une seule et même personne. Et je me suis dit, puisque vous transformez les romans pour les améliorer, que vous pouviez changer celui-ci. Transformer la fin, par exemple.
- Ça ne se fait pas comme ça, en un tour de main!
- Modifier la fin, en laissant vivre Tamaracouta.
- Pardon?
- Il pourrait y avoir un incendie, comme le dit Tamaracouta, elle pourrait se faire frapper par une commode, comme il arrive, mais au lieu de mourir, elle serait inconsciente et son amie pourrait venir la sauver.
- Son amie?
- Moi.
- Trouver une fin heureuse…
- OUI! C’est important les fins heureuses. Vous pourriez modifier le texte et, comme le livre est magique, elle revivrait.
- Comme dans un conte?
- Non, je veux dire pour vrai. Tamaracouta ne mourrait pas à la fin de la rédaction de son journal.
- Ce n’est pas possible!
- Elle est toute dans son texte, a-t-elle continué. Ils sont liés l’un à l’autre. C’est comme la langue au paradis terrestre. Mon papa l’a dit. Connaître le nom des animaux, c’était connaître les animaux eux-mêmes. Il n’y avait pas de différence entre les deux. C’est la même chose avec Tamaracouta et son journal. Si on le transforme lui, on peut la faire revivre elle.
- C’est que nous sommes loin du paradis. Ça n’a jamais été attesté. Nous ne saurons jamais comment était le paradis.
- Je ne peux rien faire pour toi, ai-je fini par lui annoncer. Je peux changer des mots, améliorer des textes, mais je ne peux faire revivre des personnes décédées. Je ne peux pas changer le passé. Même si je parvenais à transformer le journal de ton amie, je ne pourrais pas la faire revivre.
J’ai cru qu’elle repartirait comme la première fois, se sauvant dès que je me lèverais. Mais elle était épuisée et quand je lui ai offert une chaise, elle n’a pas décliné l’offre.
Je me suis dépêché de la distraire…
J’avais le numéro de téléphone de son père et je voulais le rejoindre pour lui annoncer la bonne nouvelle : sa fille était revenue.
Je lui ai un baratin sur la littérature et la capacité que nous avions tous de faire revivre les gens en écrivant des textes qui les mettent en scène. Je passe sur les détails, on trouvera tout ça en librairie, mais le résultat en a été que Caroline s’est approchée de mon ordinateur et a déposé ses doigts crasseux sur mon beau clavier blanc.
Et surtout, SURTOUT!, elle a placé un deuxième cahier à côté d’elle. Ce n’était pas un journal, mais des parties d’un livre. Parties elles aussi carbonisées. Elle avait dû les ramasser dans le brasier qui avait tué son amie. Je ne l'affirme pas, je l'infère.
J’aurais bien vaporisé un peu de Lysol, mais le temps pressait.
Pendant que je téléphonais à son père qui devait être en train de devenir fou – imaginez, sa fille unique était partie depuis deux dodos! –, je me suis approché du livre. Je l’ai déplacé légèrement, histoire d’en examiner la page couverture. Ma surprise a été grande de reconnaître le titre d’un livre de son père.
Caroline avait sur elle une copie brûlée du récit de J. R. Berger, L’île des Pas perdus.
Pour une fugueuse, quel étrange choix…
samedi 3 novembre 2007
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