mardi 5 décembre 2006

Défense et illustration

« À soir, on fait peur au monde! »
Qui a prononcé cette phrase célèbre? Est-ce Robert Charlebois, au moment de son passage à l’Olympia? Robert Oppenheimer, lors du premier test atomique dans le désert du Nouveau Mexique? Le fils de ma sœur au moment d’enfiler son costume de Speed Air Man à l’Halloween?
Non, ce sera Éric Lint dans la salle d’entrée de la Maison des écrivains sur la rue Laval au moment de son discours inaugural, « Défense et illustration de la littérature transgénique ».
Dire que je suis excité est une litote. Toute la journée, j’ai chanté à tue-tête du Leonard Cohen dans le local exigu de la Chaire.
Ah you loved me as a loser, but now you're worried that I just might win
You know the way to stop me, but you don't have the discipline
How many nights I prayed for this, to let my work begin
First we take Manhattan, then we take Berlin


Nonobstant Leonard, je serai le Robert Charlebois de la littérature mondiale! L’UNEQ n’est pas l’Olympia, c’est vrai; mais c’est tout comme, le gratin littéraire de la Belle Province (j’ai faillir écrire le mot poutine) s’y trouvera : les membres de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec, évidemment, mais ceux aussi de l’Académie des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de la ville de Montréal, du Cénacle des Auteurs du Bas Canada, de l’Association des libraires du Québec, de la Société Saint-Jean Baptiste, des Chevaliers de Colomb et j’en oublie sûrement quelques autres. Peut-être y aura-t-il même des quidams?
J’ai discuté de stratégie avec Emmanuelle Alba, mon assistante. Il faut faire simple et aller droit au but : tandis que défileront sur l’écran monté pour l’occasion les premières images de mon PowerPoint, je déclarerai ouverte une nouvelle ère, l’ère de la littérature transgénique, l’ère de la littérature de demain, l’ère du texte nouveau, scintillant, précis, en contact permanent avec l’âme du lecteur, capable de se modifier au rythme de ses désirs et pulsions, de ses joies et peines. Ce ne sera pas plus de la lecture, mais une communion intime, un acte d’une grande transparence.
« Si je n’étais parfaitement sûr de mon talent de théoricien et de ma merveilleuse habileté à extraire des gènes et à les réinsérer avec une grâce et une vivacité suprêmes dans les œuvres de nos aïeux depuis longtemps décédés... »
Ainsi, plus ou moins, commencerai-je mon allocution. Il n’y aura pas de méprise. Le désespoir ne m’atteindra pas. O Lydia!, muse d’entre les muses, touche de ta divine main mon âme... Plus tard, j’attirerai l’attention des spectateurs attentifs sur le fait que, si je n’avais eu en moi ce talent, cette habileté, etc. non seulement je me serais abstenu de décrire certaines découvertes récentes, mais encore il n’y aurait rien eu à décrire car, gentil public, rien du tout n’aurait existé.
Saurai-je ainsi convaincre? Saurai-je faire voir, dans ce labyrinthe de foire qu’est la vie, le joyaux caché au fond de toute vieille malle?
Mon rêve le plus cher, continuerai-je, est de transformer le lecteur en spectateur. Les pâles organismes des héros littéraires, nourris sous la surveillance du protocole TRANSLIT, se gonfleront graduellement du sang vital de la lectrice, de sorte que le génie de la littérature transgénique consistera à leur donner la faculté d’accéder à la vie, grâce à une telle nutrition, et de vivre longtemps, pour le plus grand plaisir de la lectrice elle-même. Et pour la survie de la littérature.
Que mes mots puissent convaincre! Que les dieux de l’Olympe orientent la trajectoire de mes flèches pour qu’elles sachent enfin, et sans peine, toucher leur cible.
C’est tout. Merci.
Je sors à l’instant même.

Aucun commentaire: