vendredi 8 décembre 2006

Défense et illustration, prise 2

On aura compris à mon dernier billet – l’infâme communiqué de presse que mon assistante Emmanuelle Alba, dont le style est rien de moins que pathétique, a dû faire circuler afin de préserver le reste de ma réputation salie par la médisance et la calomnie –, que ma présentation à l’UNEQ ne s’est pas déroulée telle que prévue...
Que non… Que nouille… Que no!…

J’aurais dû me méfier.
Perrette finit toujours par échapper le pot au lait. Le ton de Mme April de l’UNEQ était trop mielleux et ses salamalecs, un rien exagérés. Son empressement n’était pas feint, oh! non, mais ses motivations, elles, si…
Défense et illustration, m’ouais, une défenestration, plutôt! Un vol plané sur le ciment de mes échecs.
First we hit the floor, then we take the pain…

Je croyais pénétrer dans un cénacle, mais c’est un nœud de vipère qui m’attendait. Que dis-je, un nœud du boucle-potence. De ceux qu’on se passe au cou sur un gibet.

J’aurais dû me méfier des regards de conspirateurs qu’on m’a jetés à mon arrivée.
J’aurais dû me méfier, quand la table qu’on m’avait préparée avait des allures de pupitre d’enfant grondé.
J’aurais dû me méfier de l’absence de micro.
J’aurais dû me méfier de l’absence d’eau, moi qui ai toujours soif quand je parle.
Et surtout, surtout!, j’aurais dû me méfier de l’absence d’écran. Je leur avait pourtant dit que j’avais préparé une présentation PowerPoint qui montrait quel avenir glorieux mon invention pouvait faire advenir. Ils ne m’ont pas écouté. Ils me voulaient nus et sans armes. Ils me voulaient à leur merci. Et c’est avec mon zèle habituel que je me suis jeté dans la gueule du loup. Pauvre naïf que tu fais, Éric! Le piège était gros comme le lit de Procruste et tu n’avais même pas pensé à vérifier ta propre taille…

Tu n’étais pas à la hauteur, mon pauvre Éric.

Tu t’es fait déculotter comme un lapin vert.

J’avais à peine ouvert la bouche qu’une première salve de questions a été décrochée : tching!

« Qu’avez-vous contre la littérature? »
« Que vous ont fait les écrivains? »
« À bas les aliments transgéniques, sus au transgénisme de l’âme! »
« Vous dénaturez l’essence même de la littérature! »
« Voulez-vous notre mort? »
« Qui vous paie pour saper les sources mêmes de l’humanisme? La CIA, le FBI, le Fédéral?»

J’ai tenté de leur expliquer que je ne voulais pas la mort de l’auteur (quelle fadaise!), qu’au contraire, je désirais plus que tout la survie de la littérature. Mon cheval de bataille, mon pot au lait!, c’est l’avenir du livre et de la lecture, pas la mort de l’auteur. Mais personne ne semblait m’écouter. Ça grondait dans la salle, comme pendant un match de lutte, quand le méchant passe une clé anglaise au héros de la foule.

« Qu’avez-vous contre les artisans? Les écrivains? L’âme de la Nation?»
« La littérature automatisée est une aberration. La littérature est labeur, artisanerie, un travail de l’esprit. Votre littérature trans-machin-truc est une négation de l’esprit, une révocation du rôle de la conscience dans le développement de l’humanité, une aberration sociale et technologique! »

Mes faibles réponses se perdaient dans le brouhaha des cris de dépit lancés à la hâte par cette foule en colère.
« Contre le fordisme littéraire! »
« Contre le darwinisme textuel! »
« Laissez les choses telles qu’elles sont… Un texte, un auteur : voilà l’équation fondamentale! Ne jouez pas à Dieu, créant de toutes pièces des œuvres qui n’avaient jamais été prévues par les auteurs eux-mêmes. »
« Vive la primauté de l’auteur! »
« Contre une littérature québécoise made in China! »

Que valent des arguments scientifiques devant une assemblée déchaînée qui ne veut rien entendre? J’ai été lynché. Mon rêve de sauver la littérature n’était pour eux qu’un paillasson sur lequel ils comptaient s’essuyer les pieds, à défaut de s’en laver les mains. J’étais le monstre dans une foire. Ils m’avaient invité pour que je leur serve de tête de turc, de bouc émissaire, d’homme éléphant, de miroir déformant, de nain de jardin, d’épouvantail, de Bonhomme sept heures.
Pour que je leur serve d’Éric Lint…

Puis, le chat est sorti du sac. Le bruit et la fureur qui m’avaient accueilli n’étaient qu’une parade, un écran de fumée qui cachait leur véritable inquiétude. Oh Perrette, quand tu nous tiens…

« Et le droit d’auteur? »
« Oui, le droit d’auteur? Copibec, la Commission du prêt public, la maison d'édition et les organismes gouvernementaux?»
« Qui recevra le prix, si l'auteur n'est plus responsable de l'œuvre primée?»

Les questions ont été posées et un silence de mort est descendu sur l’auguste assemblée. On se serait cru sur les rives du Léthé, en plein automne.
« Oui! À qui ira les divers droits d’auteur? »
« Nous ne voulons pas être remplacés par des machines. Nous voulons nos sous au printemps. »

Ils ne s’inquiétaient vraiment que de la dimension monétaire de la chose! J’allais tuer leur poule aux œufs d’or, en la remplaçant par une machine pondeuse à trademark incorporé.

*

J’ai dû m’enfuir, incapable de répondre à leurs craintes.
Je suis retourné péniblement à la Chaire. Les écrans de mes ordinateurs étaient en bernes, personne ne m’attendait. Je me suis emmitouflé dans un vieux sac de couchage, incapable d’entreprendre quoi que ce soit. Par la fenêtre, j’ai pu voir les vendeurs de drogue réaliser de nombreuses transactions sous l’œil indifférent des passants. Qui sauvera la jeunesse?

Quand je suis seul, je fais au plus brave une gageure;
Je m'écarte, je vais sauver la littérature;
On me donne une Chaire, mes gens m'aiment;
Les subventions vont sur ma tête pleuvant:
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même;
Je suis insignifiant comme avant.

Et je rage. Je rage.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Rires...
Mon Dieu! Comment peux-tu te laisser ainsi dérouter par ceux qui ne sauront jamais reconnaître la souffrance incertaine de l'âme étrangère...?
Le serpent qui tenta Eve était andouillique. Néanmoins, il est écrit qu'il était plus fin et rusé que tous les autres êtres animés.
Les Suisses, peuple maintenant courageux et belliqueux, pouvons-nous savoir s'ils n'étaient pas jadis des saucisses ? Je ne voudrais pas en mettre ma main au feu...
J'ai tout vu. Tout entendu.
J'étais là, pour ainsi dire entrelacée dans les fleurs du tapis. Une forme que toi seul saurait retrouver.

"I'm deep inside myself,
but I'll get out somehow,
And I'll stand before you,
and I'll bring
a smile to your eyes."

E. Green