vendredi 2 mars 2007

G. Astrid Stain


Un correspondant éloigné (ça se glisse bien dans la conversation, vous ne trouvez pas? Ça entretient le mystère. Eric Lint a des relations! Et internationales, à part ça! Il entretient des relations épistolaires avec des personnages partis prêcher de par des pays perdus [que de « p »!]. Et il reçoit encore des lettres en cette ère où le virtuel domine!
En voilà une énigme pour notre siècle : comment une chose aussi ineffable que le virtuel pourrait-elle dominer quoi que ce soit. That is the question!).
Or donc, un correspondant, mis au fait de mes plus récents travaux, m’a envoyé toutes affaires cessantes quelques exemples d’exercices d’une dame qui aurait, semble-t-il, vécu à début du siècle précédent (le vingtième, si ça se trouve) et qui aurait, malgré l’état précaire de la science et des technologies à cette époque, anticipé les développements de la littérature transgénique.
Elle aurait exploré, à la mitaine comme le dit mon correspondant qui a la langue bien pendue et la plume aiguisée, la production automatisée de textes, forgeant des documents à partir de suites prédéterminées de termes.
Les résultats sont difficiles à lire et ils manquent de ce sens de l’à-propos qui distingue les œuvres d’art des maigres tentatives des tâcherons de la littérature, mais il y a quelque chose de réconfortant à savoir que déjà, bien longtemps avant ma petite personne et ma chaire de dimension réduite (elle s’enfle ma chaire, ne vous inquiétez pas!), on a cherché à faire du transgénisme, et que, malgré la faiblesse des résultats, un matériau de première importance a su me rejoindre, matériau qui me permettra peut-être de comprendre ce qui, dans mes propres entreprises infructueuses, continue à aller de travers. C’est en se comparant qu’on se console, comme on dit, et je suis désolé de vous assommer avec cette lapalissade.
Voici donc un extrait d’exercice de cette dénommée G. Astrid Stain (il se peut aussi que j’aie mal lu ce nom, la calligraphie de mon correspondant étant on ne peut plus ardue à déchiffrer; ça pourrait tout aussi bien se lire « Gertrude Stem » ou « Bertrand Stein »… Mais je préfère de loin un nom en tache qu’un nom en tronc ou en pierre, si vous voyez ce que je veux dire).
Je vous préviens, il faut s’attacher!

Je cite :

« Il y a beaucoup de variétés d’hommes, de chaque variété d’eux il y a plusieurs millions d’eux, plusieurs millions faits pour ressembler aux autres de cette même variété d’eux, de quelques variété d’eux il y a plus de millions faits pour ressembler aux autres de telle variété qu’il y a de millions faits pour ressembler aux autres de telles variétés d’hommes. Peut-être n’est-ce pas exactement vrai de telles variétés d’eux, peut-être il y a plus de millions de telles variétés d’hommes qu’il y a de millions de telles autres variétés peut-être on pense une telle chose de quelques variétés d’hommes seulement parce que dans quelques variété d’hommes il y a plus, dans chacune de telle variété, plus, dans les plusieurs millions de telle variété d’eux, de sentiment d’individualité dans chaque homme de telle variété d’eux. Peut-être dans telles variétés d’hommes il y en a beaucoup plus dans les plusieurs millions de leur variété d’eux, il y en a beaucoup plus qui ont en eux un sentiment d’individualité fortement existant, que dans telles autres variétés d’hommes, variétés d’hommes dont il n’y a pas plus de millions faits pour se ressembler qu’il n’y en a de cette variété-là d’hommes. »

C’est quelque chose, n’est-ce pas!
Les Américains n’en auraient pas fabriqué de plus beau.
Et vous comprenez que seule une machine, aussi rudimentaire fût-elle, pouvait arriver à de tels résultats. J’imagine qu’elle s’est servi d’un boulier ou d’une chaudière à vapeur. Il y a du démon de Maxwell là-dedans! Ou du Marconi.
Le plus étonnant, selon mon correspondant, est l’existence de centaines et de centaines de pages de cet acabit, une interminable logorrhée de mots.
Si j’avais été le chef de ce laboratoire primitif (mais en tous points précurseur de mes propres travaux), j’aurais arrêté le test dès les premières pages, mais les normes ont beaucoup évolué depuis un siècle, il faut le dire.

Tout de même, quels résultats!

Ce texte ressemble tellement à certains de mes propres résultats préliminaires que j’en suis sidéré. J’ai des terabytes de disque dur et de la mémoire vive à faire mourir d’envie le premier des aèdes, et pourtant je n’arrive même pas à dépasser les résultats obtenus par je ne sais quel procédé préhistorique!

Je sens que je dois me retrousser les manches.

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Monsieur Lint,

à quand le premier (ou le prochain, ne m'en tenez pas rigueur je m'en suis qu'à mes premiers balbutiements en ce domaine) colloque intermondial sur la littérature transgénique?

Bien à vous, et félicitations pour votre beau programme.

Anonyme a dit...

Cher Professeur Lint,
Je m'inquiète. Auriez-vous été enlevé par des extra-terrestres ?
Seriez-vous coincé dans votre sac de couchage ?
Que se passe-t-il donc dans votre chair ?

Matty

Anonyme a dit...

Puisqu’il est question ces temps-ci de plagiat dans les médias, j'ai décidé de me jeter dans le tas et de démasquer un autre imposteur qui n'a pas, quant à lui, l'excuse de l'innocente jeunesse.

Sachez, Monsieur Lint, que nul n’aura pu s’empêcher de remarquer que Philippe Muray a, bien avant vous, établi les bases de la littérature transgénique. Il reconnaît déjà en 2002 le lien fondamental entre la biologie et la littérature. Simplement, selon Muray, ce n’est non pas l’utilisation de la biologie qui transformera la littérature, mais plutôt sa disparition au profit de l’identité.

« L’antique discordance entre féminin et masculin, la vieille division des sexes doivent cesser d’être des essences immuables et déterminantes ou des faits de nature pour n’apparaître plus comme des « résultantes de relations », des « notions métaphysiques » fabriquées jadis dans les fameuses Usines de la Différence que possédait le patriarcat et où on produisait à jet continu de la vision biologisante. Cette vision biologisante, extrêmement mal portée de nos jours, et qui se ramène à la simple capacité de différencier un pénis d’un vagin par exemple, devient progressivement un crime ; et c’est la vue elle-même, la capacité de voir, d’avoir des yeux, de bons yeux, qui se retrouve criminalisée. Dans peu de temps, au nom du principe d’identité, on exigera que le sexe ne soit plus inscrit à l’état civil des personnes. On demandera aussi, sans doute, qu’il ne soit plus mentionné dans la presse, dans les médias, dans les livres, dans les romans. Ou alors sous la forme paritaire toujours si gracieuse : La-le-Mère-Père Goriot, Madame-Monsieur Bovary, Les Sœurs-Frères Karamazov-a, La Reine-Roi Lear, La Princesse-Prince de Clèves, Lucien-ne Leuwen. » (Exorcismes spirituels III, p. 137)