mercredi 29 novembre 2006

Law and Order

La sécurité me rend anxieux (insecure diraient les Américains qui s’y connaissent en la matière). Mes propos paraissent sibyllins, je reformule : la présence accrue des forces de l’ordre et de la sécurité dans les lieux publics me rend nerveux.
Très nerveux.
Aux abords de l’UVAM, par exemple, et surtout dans le métro, le nombre de gardiens de sécurité et de policiers a augmenté dernièrement. On m’excusera de mettre dans le même panier gardiens et policiers, mais dans le feu de l’action, j’ai de la difficulté à les distinguer. S’ils portent un uniforme, des grosses bottes et surtout un air bête, ils appartiennent à la même tribu. La tribu des forces de l’ordre. Ils se promènent en groupes de deux ou de trois, ils sont vêtus de vestes pare-balles et, à leur ceinture, ils portent des armes, des menottes et une radio. Il ne manque que les chiens.
Cette présence me rend inquiet. Ont-ils augmenté, sans qu’on le sache, le niveau d’alerte à Montréal? Sommes-nous en danger? Des terroristes sont-ils à l’œuvre dans les souterrains du métro et de l’Université? Des bombes exploseront-elles dans un avenir rapproché?
Suis-je personnellement en danger? Je n’oublie pas le onze septembre.
Et je me fais du souci. Je me sens comme à l’adolescence, quand j’ai lu pour la première fois 1984 de George Orwell. Et si cette présence des forces de l'ordre était l’indice d’une transformation fondamentale de ma société? Une transformation d’autant plus pernicieuse qu’elle est subreptice…
Nous vivons une révolution négative.
Et nous commençons à subir un long processus de détérioration de nos libertés. L’État a déjà commencé à augmenter petit à petit la présence des policiers dans toutes les phases de notre vie. Dans le métro, dans les quartiers, dans les édifices mêmes de l’Université. Au début, on réagit, on rapetisse littéralement, mais rapidement on s’habitue. Ils sont là pour nous protéger après tout… nous, les travailleurs qui assurons à la société son vitalité et son produit national brut.
Mais, un matin, on se lèvera et les espaces publics seront passés sous contrôle policier; nos moindres faits et gestes seront surveillés par des caméras, des cartes de citoyen seront émises et devront être portées en tout temps, la loi et l’ordre règneront en maître. Et de nos libertés telles qu’on les connaissait, il ne restera plus rien. Comme un livre pilonné.
Je vous le dis, l’ordre est en train de supplanter la liberté comme principe social.
Quand j’arrive maintenant à l’UVAM, je ferme ma porte derrière moi. Je prête l’oreille à tous les bruits et entends en sourcillant le claquement des bottes sur le plélart du couloir, tandis que les forces de l'ordre font leur ronde de nuit.
Ma chaire me protège des regards inquisiteurs, mais je reste sur les dents. Au début, je craignais l’espionnage industriel; maintenant, je me méfie de tout ce qui porte un uniforme, de tout ce qui veut me protéger.

dimanche 26 novembre 2006

Au-delà du plagiat

Mon dernier billet semble en avoir confondu plus d’un.
Non, la littérature transgénique® n’est pas un cas de citation mal déclarée, que d’autres nomment du plagiat – oh! le vilain mot –, et que les diplômés identifient parfois comme de l’intertextualité (il y en a, je vous jure, qui n’ont pas le sens du mot bien fignolé, doux au regard et suave à l’oreille. Il faudrait interdire les mots contenant plus de trois "t", et quatre "s", tant qu'à y être! Vous rendez-vous compte... il y a soixante mots dans la langue française qui ont quatre "s" au singulier. Soixante! Quel tour de passe-passe la langue nous joue-t-elle parfois! Par contre, les quadruples "t" se comptent au goutte-à-goutte. C'est rassurant.)
Pour le dire en termes simples : le plagiat est à la littérature transgénique® ce que le maquillage est à la chirurgie plastique. Voilà!
Le maquillage est une opération superficielle, un ajout qui n’a aucune durée, du cosmétique comme on dit, tandis que la chirurgie s’impose par sa permanence, son action profonde, sous-cutanée, sur le corps. Elle le modifie, le transforme, lui apporte une nouvelle identité.
Il en va de même avec la littérature transgénique®. Elle n’est pas un simple collage, une opération en surface qui n’affecte que le tissu du texte; elle travaille au contraire à même la fibre de ce tissu. Si le plagiat est local, la littérature transgénique est généralisée. Elle n’apparaît pas à la surface du texte, mais est complètement camouflée. Son action se situe au niveau même des molécules. Elle est délocalisée, comme une goutte d’encre se dissout dans de l’eau.
C’est dire que son agir s’insinue dans toutes les molécules du texte et en transforme subrepticement l’identité. Comme une figure qui surgirait subitement d'un mur de pierre pour nous interpeller de son regard minéral.
À bon entendeur, salut!

vendredi 24 novembre 2006

Ancêtres transgéniques

Mes épaules ploient sous les responsabilités. Une nouvelle forme littéraire, vous vous imaginez! Que dirons de moi les générations futures? Les auteurs de demain. Je dois peser tous mes actes, surveiller mes dires, le monde à venir examinera mes moindres gestes, je dois être à la hauteur.
C’est le contemporain que je construis! Et je le fais une brique à la fois…
Mais je me console en pensant à mes ancêtres, à tous ces auteurs qui avaient déjà anticipé l’apparition du transgénisme littéraire. Je pense à Cervantès, à Jorge Luis Borges et à Italo Calvino. J'ai en tête les Laurence Sterne, Guy Tournaye et Enrique Vila-Matas de ce monde. Ils ont tracé cette voie que je poursuis maintenant dans l’abnégation la plus complète (si on oublie mes émoluments à titre de titulaire de la chaire de recherche en littérature transgénique de l’UVAM). Je pense aussi à Georges Perec et à Raymond Queneau, les illustres fondateurs de l’ouvroir de la littérature potentielle, à quelques pas à peine du transgénisme (j'ai longtemps songé à intituler ma chaire L'Oulitra).
Il y a James Joyce aussi, dont il faudra bien que je parle un jour, même si je suis incapable de lire plus de dix lignes de ses deux dernières œuvres sans sombrer dans un coma profond. Mais quel précurseur! Son Finnegan’s Wake est à la littérature transgénique ce que les profiteroles sont à la crème chantilly.
Plus près de nous, je ne peux oublier l’écrivain américain Donald Barthelme. Un illustre inconnu maintenant, mais un monstre sacré en son temps. Je bois un verre à sa carrière et à son art. Sa mort en a laissé plus d’un déconfit. Les pères finissent toujours par mourir et leurs fils doivent apprendre à reprendre le flambeau. Barthelme, c'est le père mort.
Certains de ses collages sont des prototypes du transgénisme littéraire. Il a appliqué une version rudimentaire et manuelle du protocole TRANSLIT, incrustant des syntagmes et des segments de phrases d’auteurs célèbres dans ses propres textes, créant ainsi des hybrides aux propriétés voisines du transgénisme.
Sa nouvelle la plus transgénique est, j’en mettrais ma main au feu, « L’ingénieur deuxième classe Paul Klee égare un avion entre Milbertshofen et Cambrai en mars 1916 » (in Émeraude, Paris, Denoël, 1992). Paul Klee, le célèbre peintre allemand, y apparaît non seulement comme personnage, mais comme un des auteurs-palimpsestes du texte (l’auteur-palimpseste est, aux dires des diplômés, l’auteur d’un texte en partie effacé, mais toujours perceptible dans un nouveau texte qu’il vient miner de l’intérieur – les brésiliens diraient « phagocyter »). Barthelme a produit un extraordinaire collage (à partir du journal de Paul Klee), qui anticipe sur le transgénisme dans tous ses aspects, sauf l’automatisation des procédés. Barthelme a tout fait à la main, mais son rêve est le mien. Ce serait trop long ici de le démontrer noir sur blanc, mais je conjure mes lecteurs, s'il en est, d'aller lire la nouvelle, le journal de Klee bien en main. Les résultats sont époustouflants. (Je dois à J.R. Berger, mon collègue et ami, d’avoir attiré mon attention sur cette nouvelle. Qu serait-on sans ami?)
La littérature ne se travaille pas seulement en surface, dans le développement de ses strates superficielles, mais en profondeur, au cœur même de sa chair et de ses organes vitaux.
Ils sont nombreux mes ancêtres, je leur dois cet avenir que je regarde sans cligner des yeux. Ils m’ont montré la voie et j’entends la suivre en dépit des sarcasmes et des médisances.
Des sarcasmes et des défections.

mardi 21 novembre 2006

Les rudiments bis

Je sens que je ne vous ai pas encore toutes et tous convaincus.
Allons-y d’un deuxième exemple!
J’ai le cœur joyeux, voyez-vous, je me sens généreux, malgré le temps maussade et le fond de l’air. Je me suis entendu avec Mme Juliette April de l’UNEQ. L’union m’invite! Moi qui n’ai jamais été syndiqué! Ils veulent entendre parler de ma nouvelle invention. Je suis invité à prononcer une conférence dans le cadre de leurs soirées littéraires. Oui, moi, Éric Lint, titulaire de chaire, dans le cénacle des écrivains… Mais ne nous laissons pas distraire.
Ouvrons cette fois, si vous le voulez bien, Anna Karénine de Léon Tolstoï. Concentrons-nous sur la toute première phrase du texte, ce que les diplômés nomment un incipit (pour faire simple : l’incipit est l’occiput du texte). La phrase nous apprend que « Toutes les familles heureuses se ressemblent. Toute famille malheureuse l’est à sa façon.»
Disons qu’on veuille moderniser le tout. Parce que les familles heureuses nous rendent maussade. Ou parce que le malheur, quand il s’abat sur une famille, rend tout méconnaissable. On sélectionne alors un gène d’un auteur un peu plus sarcastique, qui sait manier le verbe comme un cruciverbiste et qui n’a pas froid aux genoux, et on l’insère dans les divers syntagmes de la phrase. Qu’est-ce que ça donne? Oui, vous avez deviné juste : une toute nouvelle phrase! Plus incisive. Peut-être même légèrement salace…
Ce gène, il peut venir d’un roman de Vladimir Nabokov. Cet auteur correspond parfaitement au profil identifié. On prend le gène et on l'incruste dans la phrase de Tolstoï. Les résultats sont d’emblée spectaculaires.
Je les cite, vous serez ébahis : « Toutes les familles heureuses sont plus ou moins différentes, toutes les familles malheureuses se ressemblent plus ou moins. »
Ce n’est plus aussi naïf, n’est-ce pas? Et ça nous parle directement. Ça touche au cœur, ça émeut, des larmes tracent de minces lignes sur les joues des adolescentes au cœur sombre (Dolorès, oh! toi, ma douloureuse). Tous les malheurs, même s’ils paraissent relatifs, sont une fin du monde. Et il faut savoir s’en remettre, j’en sais quelque chose.
Si on fait, maintenant, la même opération sur l’ensemble du texte, on aura un tout nouveau roman où la fresque de Tolstoï se déploiera sur le mode ironique de Nabokov. On pourra d’ailleurs nommer ce nouveau roman, osons!, Ada Karénine.
Ce n’est qu’un très bref exemple, mais on devine peut-être mieux maintenant les balbutiements de cet art qui, lorsque je serai parvenu à le maîtriser, changera le visage de la littérature mondiale!
Tous les rêves sont permis…
Aucun ne m’échappera.

samedi 18 novembre 2006

Les rudiments

Où en étais-je?
Ah! oui. Le commencent.
(Ceci dit, vous ne devinerez jamais qui a téléphoné… Mme April. Oui, Madame Juliette April, adjointe à la direction de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec! L’UNEQ, pour les intimes. Mais ne nous laissons pas distraire.)
Pour vous faire comprendre les possibilités infinies de la littérature transgénique®, le plus simple est d’en comparer le principe à celui des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Rendons à César ce qui appartient à César.
Les OGM (ne pas confondre avec les ONG), ce sont les tomates qui ne gèlent pas, les melons d’eau sans noyaux, le maïs qui résiste aux parasites, le riz qui comprend ses propres pesticides et qui bientôt ne requerra plus d’être blanchi… La liste est longue de ces aliments qui bénéficient d’une transformation de leur patrimoine génétique.
La technique est maintenant éprouvée. Pour empêcher la tomate de geler, on insère un gène d’omble de l’Arctique dans sa structure génétique et on renforce sa capacité à résister au froid. Il fallait y penser. Cela donne une tomate au goût insipide, aux dires de certains, mais avec un peu de vinaigre balsamique, ça ne paraît plus. Et quels bienfaits pour l’humanité!
Les OGM nous disent en toutes lettres que nous avons déjà un pied dans l’avenir et que le progrès l’emportera sur la morosité ambiante. La technique a ses détracteurs, mais ils changeront vite d'avis quand ils n'auront plus rien à mettre dans leur assiette qui n'aura été modifié.
Or, ce qu’on peut faire avec les légumes, on le peut aussi avec les fruits de notre propre imagination. On peut le faire avec la littérature! Il suffit d’importer le gène d’un premier roman dans un second pour en améliorer, soit la texture, soit la trame narrative ou tout autre partie de son corps.
Je n’entrerai pas aujourd’hui dans le détail des opérations requises pour procéder à une telle revalorisation du patrimoine génétique d’un texte, mais laissez-moi au moins vous donner un petit exemple de mon crû.
Prenons L’assommoir de Zola. Vous trouvez ce roman assommant? Il vous tombe des mains, l’histoire vous laisse de glace, vous ne savez que faire d’une blanchisseuse? Ça arrive. La sensibilité moderne ne sait plus comment réagir aux mésaventures bénignes et déjà anciennes de Gervaise et de son auguste amant. Est-ce une raison pour ne plus lire le roman? Jamais de la vie! Mais on peut sans repentir entreprendre d’en réarranger le sens.
Si j’avais à travailler sur ce roman dans le cadre de ma Chaire, je lui ajouterais, disons, un gène du troisième tome des aventures de Harry Potter. Le gêne de la magie, par exemple. Si on parvient à insérer ce gène grâce au protocole TRANSLIT, le roman d’Émile Zola comportera subitement un peu plus de merveilleux. Le ventre de Paris ne sentira plus jamais pareil. Aucune personnage de Harry Potter ne s’y retrouvera; non, nous serons toujours aux prises avec Gervaise, Lanthier et Coupeau; mais au moins l’esprit des Harry Potter sera présent : les sortilèges, les espaces dérobés et les conspirations. Personne ne pourra y résister.
Les sutures ne paraîtront pas, entre autres parce que rien n’aura été transformé, du moins en surface. C’est en profondeur, au cœur même des structures élémentaires de signification du roman, que les modifications auront été apportées.
On pourra baptiser le roman transgénique obtenu : L’assommoir d’Azkaban de J. E. Rowling Zola.
Ça me fait penser que je devrai rapidement contacter un éditeur intéressé à publier cette nouvelle littérature.

mercredi 15 novembre 2006

Pour une littérature transgénique

Que les clairons sonnent la charge! Que les divas s’égosillent! A New Day Has Come!
Amis et complices. Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à la création d’une nouvelle littérature. Et ce n’est pas sans une certaine appréhension que je dévoile enfin les premiers résultats de la Chaire de recherche sur la littérature transgénique®, dont votre humble serviteur assume la direction depuis sa création.
Déroulez le tapis rouge et sortez les flûtes à champagne! La littérature nouvelle est arrivée. Elle n’est pas encore bien charpentée, mais qu’est-ce qu’une poutre quand déjà les murs porteurs ont été montés?
Vous vous demandez: qu’est-ce que la littérature transgénique®?
C’est l’œuvre de ma vie!
Déjà, en soi, cela devrait suffire. On ne consacre pas une vie entière à des balivernes, un doctorat en main et une chaire de recherche en banque.
Mais il en faut plus, je le sais, pour confondre les sceptiques. Une démonstration en bonne et due forme est de rigueur. Ce site, monté avec les maigres moyens que m’ont attribués l’Université (quelques écus à peine!), est consacré à cette démonstration. Je ne compte pas convaincre en une seule fois… Peu s’en faut! On ne modifie pas de façon radicale la littérature en un coup de cuillère à pot. Les révolutions prennent du temps à s’imposer. Les habitudes sont des freins au progrès. L’arrière-garde est un boulet qu’on traîne sans jamais s’en départir. Etc.
Mais qu’à cela ne tienne! Ma littérature transgénique vivra et c’est l’avenir même de la littérature qui s’en trouvera modifié. Plus jamais les enfants refuseront de lire les livres que nous leur offrirons à Noël. Les romans seront tout aussi palpitants que les jeux vidéo qui les hypnotisent à longueur d’année. Comment pourraient-ils résister à des récits qui ont été élaborés à leur intention et en fonction de leurs goûts personnels?
Mon invention sauvera la littérature! On parlera de moi comme du nouveau Alexander Graham Bell. Je serai le Norbert Wiener de ma génération. Ce qu’il a fait pour la communication et la cybernétique, je le ferai pour le texte et la littérature. Le Nobel ne pourra m’échapper. (Je rêve discrètement de ce moment quand le fil de presse annoncera au monde entier que le charmant et lunatique Éric Lint, titulaire de la chaire de recherche en littérature transgénique®, est le nouveau lauréat de l’académie suédoise. La consternation sur le visage de mes collègues du département! Les reconnaissances, les voyages, la grande vie…)
Pardonnez-moi, on me demande au téléphone. Je reviens dès que faire se peut.