mardi 22 mai 2007

Les gestionnaires


C’est vexant.
On déclare à l’envi que je suis cinglé.
Que ceci n’est que facéties.
Du vent.
Du Windex avec Ammonia D.
Je veux bien, mais alors qu’on enferme les trois quarts de la population! Les gardiens de sécurité aux jambes arquées, les étudiants aux mohawks rouge fluo, les chargés de cours aux oreilles décollées et les directeurs de département aux bretelles pendantes.

Ma chaire n’est que fumée. Rien n’en ressortira jamais. Je pers mon temps, et l’argent des contribuables, à des balivernes. Comme Jules et ses balises.

Non, mais, s’est-on regardé dans la glace? À qui appartient la poutre? À bibi? Non, madame!
Prenons un exemple au hasard. Un exemple où l’on verra que l’âne n’est pas qui l’on pense. Car si je mets tous mes œufs dans le même panier, le mien au moins n’est pas percé. Le mien n’est pas fait que d’air.

Je parle évidemment des gestionnaires de portefeuilles d’actions imaginaires de Loto-Québec.

Marie-Thérèse Larose, l’adjointe à la direction du département des Arts du texte, en est une.
Si! Une gestionnaire de portefeuille de Loto-Québec…

Je l’ai croisée dans un dépanneur près de l’UVAM. Il était trois heures de l’après-midi, mercredi dernier, je suis entré comme à l’accoutumée, le plus discrètement possible, et j’ai vu Marie-Thérèse, de mes yeux vue, opérer une série de transactions auprès du commis qui s’activait, légèrement dépassé par les événements, au clavier de sa machine bleue de la société de la couronne.
Des Banco et des Banco spécial, des Super 7, des Lotto 6/49 avec extra, des Québec 49, des Joker et des Astro, des Poules aux œufs d’or, des Vies de millionnaire, des Célébration 2007 et quelques Mini. Pendant près de trois minutes, tel un courtier en valeurs mobilières sur la parquet de la bourse à New York, elle a dicté ses ordres, levant le bras pour doubler la mise ou ajouter une nouvelle commande.
Moi qui n’étais entré que pour m’acheter un Jo Louis et une canette de Red Bull (j’aime bien croiser le sucre et la caféine), je devais attendre qu’elle finisse ses opérations boursières, tout de même impressionné par la complexité de la chose. Marie Thérèse avait même un portefeuille de cuir noir dans lequel elle insérait les divers récépissés et les billets de loterie instantanée. Elle ne faisait pas que jouer à la loto, non… Marie-Thérèse gérait un portefeuille d’actions imaginaires de Loto-Québec, comme s’il y avait là une bourse où l’on pouvait s’enrichir et placer son argent pour ses vieux jours. Une sorte de fond mutuel imaginaire.

(Acte 3, SCÈNE 1)
- Marie-Thérèse!
(Il faut imaginer une voix mielleuse, calquée sur celle de Winnie l’ourson ébahi devant une étagère remplie de miel en pots)
- Oh! C’est vous Éric! Quel bon vent vous amène?
- Une petite fringale… Toc toc. On ne peut pas toujours vivre d’amour et d’eau fraîche. Et vous, quel beau portefeuille vous avez! Beau à croquer.
- Du cuir véritable. Importé du Maroc.
- Hum, c’est pas du toc! Et que la chevillette cherra!
- Sans équivoque! Et je m’y connais.
- Puis-je être indiscret et m’enquérir tout d’un bloc de ce que vous y insérez? Ça vous choque?
- Non, non. Je gère mes avoirs.
- Des avoirs? Vous rigolez. Ce sont plutôt des à-valoir sur votre propre ruine.
- Mais de quel droit!
- Marie-Thérèse (bis), des billets de loterie, voyons donc, ce n’est pas un investissement, c’est une perte sèche. Un pari sur l’improbable! Vous avez plus de chances de vous faire frapper par la foudre que de gagner le gros lot. Ce n’est pas une stratégie financière, votre affaire, c’est une maladie.
- Monsieur Éric…
- Pensez à vos enfants, Marie-Thérèse, même si vous n’en avez pas. Pas encore, mais ça ne saurait tarder. Pensez à tout l’agent que vous avez perdu en vaines espérances, en rêverie niaise, en mirage adolescent!

Jusque là, tout allait plutôt bien. J’étais en verve et Marie-Thérèse, en état de choc. Mais, j’ai eu le malheur de tendre la main et de m’emparer de son portefeuille.
Je l’ai pris et l’ai ouvert, pour découvrir tout un assortiment de billets rangés par catégories et dates de tirage.
Il paraît que j’ai crié. Il paraît que j’ai levé le bras bien haut, secouant le portefeuille comme un arbre à l’automne, et que ses feuilles sont tombées comme le veut la saison, virevoltant dans le dépanneur avant de se déposer sur le sol mouillé du commerce de détail.
Il paraît que Marie-Thérèse a hurlé avant de se jeter sur moi.
Il paraît qu’elle m’a menacé des pires catastrophes.
Mais, je ne m’en souviens plus. Ma tête a heurté un comptoir et j’ai perdu connaissance, les billets de loterie toujours en suspension dans l’air, immobilisés par l’apnée provoquée par ma chute. On se serait cru dans un film d’arts martiaux (j’ai failli écrire « arts maritaux »!), quand l’extrême ralenti découpe les mouvements jusqu’à les rendre magiques et transforme la moindre chute en une longue descente aux enfers.
Jet Lee, here I come!

Quand j’ai repris connaissance, Marie Thérèse pleurait, quelques billets souillés dans ses mains. J’aurais peut-être dû m’excuser, prétexter une surcharge émotive, un trop plein de travail à la chaire, les défaillances du protocole TRANSLIT, mais je l’ai regardée en silence. Je l’aurais en fait détaillée avec mépris et condescendance, selon ce qu’elle a rapporté au directeur du département, M. Théodore Suprenant (ce minable!), qui m’a vertement sermonné à mon piteux retour à la chaire.

N’empêche! Un portefeuille de Loto-Québec...
La population ne réagit même pas? Elle ne s’insurge pas?
Et dans le même souffle, on m’accuse, moi, de semer du vent, de pratiquer le vide sous pression, d’être un faux jeton. I beg you pardon. Quand je regarde dans mon portefeuille, je ne vois que des billets verts et bleus. De la monnaie trébuchante, comme on disait dans le temps. Je ne trébuche pas, moi, sur du rêve en canne. Je reste debout, même si je ne vais nulle part. Et je garde mes sous pour de bonnes et justes causes.
Vive la CRLT libre!

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Cher professeur Lindt,
Je dois vous dire que je suis scandalisée.
Non mais... pas un May West !
L'estime que je vous porte ne saurait être entachée par l'empreinte du gras trans sur la copie de mon examen, mais... franchement ! Vous avez pensé à votre organisme ? Cherchez-vous vraiment à porter atteinte à votre belle nature de manière à lui faire subir des mutations menées hors de tout protocole au seul profit de M. Vachon ?
Le mélange des randonneurs, ça ne vous dit rien ?

Matty S. Léveillée