samedi 18 novembre 2006

Les rudiments

Où en étais-je?
Ah! oui. Le commencent.
(Ceci dit, vous ne devinerez jamais qui a téléphoné… Mme April. Oui, Madame Juliette April, adjointe à la direction de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec! L’UNEQ, pour les intimes. Mais ne nous laissons pas distraire.)
Pour vous faire comprendre les possibilités infinies de la littérature transgénique®, le plus simple est d’en comparer le principe à celui des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Rendons à César ce qui appartient à César.
Les OGM (ne pas confondre avec les ONG), ce sont les tomates qui ne gèlent pas, les melons d’eau sans noyaux, le maïs qui résiste aux parasites, le riz qui comprend ses propres pesticides et qui bientôt ne requerra plus d’être blanchi… La liste est longue de ces aliments qui bénéficient d’une transformation de leur patrimoine génétique.
La technique est maintenant éprouvée. Pour empêcher la tomate de geler, on insère un gène d’omble de l’Arctique dans sa structure génétique et on renforce sa capacité à résister au froid. Il fallait y penser. Cela donne une tomate au goût insipide, aux dires de certains, mais avec un peu de vinaigre balsamique, ça ne paraît plus. Et quels bienfaits pour l’humanité!
Les OGM nous disent en toutes lettres que nous avons déjà un pied dans l’avenir et que le progrès l’emportera sur la morosité ambiante. La technique a ses détracteurs, mais ils changeront vite d'avis quand ils n'auront plus rien à mettre dans leur assiette qui n'aura été modifié.
Or, ce qu’on peut faire avec les légumes, on le peut aussi avec les fruits de notre propre imagination. On peut le faire avec la littérature! Il suffit d’importer le gène d’un premier roman dans un second pour en améliorer, soit la texture, soit la trame narrative ou tout autre partie de son corps.
Je n’entrerai pas aujourd’hui dans le détail des opérations requises pour procéder à une telle revalorisation du patrimoine génétique d’un texte, mais laissez-moi au moins vous donner un petit exemple de mon crû.
Prenons L’assommoir de Zola. Vous trouvez ce roman assommant? Il vous tombe des mains, l’histoire vous laisse de glace, vous ne savez que faire d’une blanchisseuse? Ça arrive. La sensibilité moderne ne sait plus comment réagir aux mésaventures bénignes et déjà anciennes de Gervaise et de son auguste amant. Est-ce une raison pour ne plus lire le roman? Jamais de la vie! Mais on peut sans repentir entreprendre d’en réarranger le sens.
Si j’avais à travailler sur ce roman dans le cadre de ma Chaire, je lui ajouterais, disons, un gène du troisième tome des aventures de Harry Potter. Le gêne de la magie, par exemple. Si on parvient à insérer ce gène grâce au protocole TRANSLIT, le roman d’Émile Zola comportera subitement un peu plus de merveilleux. Le ventre de Paris ne sentira plus jamais pareil. Aucune personnage de Harry Potter ne s’y retrouvera; non, nous serons toujours aux prises avec Gervaise, Lanthier et Coupeau; mais au moins l’esprit des Harry Potter sera présent : les sortilèges, les espaces dérobés et les conspirations. Personne ne pourra y résister.
Les sutures ne paraîtront pas, entre autres parce que rien n’aura été transformé, du moins en surface. C’est en profondeur, au cœur même des structures élémentaires de signification du roman, que les modifications auront été apportées.
On pourra baptiser le roman transgénique obtenu : L’assommoir d’Azkaban de J. E. Rowling Zola.
Ça me fait penser que je devrai rapidement contacter un éditeur intéressé à publier cette nouvelle littérature.

4 commentaires:

Anonyme a dit...

La littérature transgénique en est à ses rudiments et voilà déjà qu'elle se dissémine (le risque avec les OGM, c'est la dissémination) et va se transplanter dans le champ philosophique: le lézard de Heidegger va bientôt rencontrer celui de Ponge...
(à suivre)
Jean-Philippe Kolmar

Anonyme a dit...

Le lézard - un chef-d'œuvre de la bijouterie préhistorique, d'un métal entre le bronze vert et le vif-argent, dont le ventre seul est fluide, se renfle comme la goutte de mercure; un reptile à pattes - ne se trouve pas simplement sur la pierre chauffée au soleil. Lorsque le mur de la préhistoire se lézarde, ce mur de fond de jardin (c'est le jardin des générations présentes, celui du père et du fils), — il en sort un petit animal formidablement dessiné, comme un dragon chinois, brusque mais inoffensif chacun le sait et ça le rend bien sympathique. Il a recherché la pierre, et il a l'habitude de la rechercher. Éloigné d'elle, il ne reste pas n'importe où : il la cherche de nouveau — qu'il la retrouve ou non, peu importe. Il se chauffe au soleil. Arrêt brusque. Sur la pierre la plus chaude. Affût? ou bien repos automatique? Il se prolonge. Profitons-en; changeons de point de vue. Même si nous évitons toute explicitation psychologique fausse, et précipitée, du mode d'être du lézard, et même si nous ne « mettons pas en lui » ce que nous ressentons nous-mêmes, nous voyons malgré tout dans le genre d'être du lézard - le lézard dans le monde des mots n'a pas pour rien ce zède ou zèle tortillard, et pas pour rien sa désinence en ard, comme fuyard, flemmard, musard, pendard, hagard; il apparaît, disparaît, réapparaît; jamais familier pourtant; toujours un peu égaré, toujours cherchant furtivement sa route - , une différence par rapport au genre d'être d'une chose matérielle. La roche sur laquelle le lézard s'étend n'est certes pas donnée au lézard en tant que roche. Le lézard suppose donc un ouvrage de maçonnerie, ou quelque rocher par sa blancheur qui s'en rapproche. Fort éclairé et chaud. Roche, un quelconque ouvrage de maçonnerie, à la surface éclatante et assez fort chauffée par le soleil, dont il pourrait interroger la constitution minéralogique. Puis une faille dans cet ouvrage, par quoi sa surface communique avec l'ombre et la fraîcheur qui sont en son intérieur ou de l'autre côté. Qu'une mouche de surcroît s'y pose, comme pour faire la preuve qu'aucun mouvement inquiétant n'est en vue depuis l'horizon... Par cette faille, sur cette surface, apparaîtra alors un lézard (qui aussitôt gobe la mouche). Et voici donc, car l'on ne saurait trop préciser ces choses, voici les conditions nécessaires et suffisantes..., pratiquement voici comment disposer les choses pour qu'à coup sûr apparaisse un lézard.
Est-ce un progrès ou une dégénérescence? Personne, petit sot, n'en sait rien. Petit saurien.
Jean-Philippe Kolmar (sources: "Les concepts fondamentaux de la métaphysique" et "Pièces")

Unknown a dit...

Monsieur Lint, vos théories ont beaucoup de oumf. Je suis charmée. Vraiment. ;^)

Éric Lint a dit...

Cher monsieur Kolmar, votre entrée est tout simplement stupéfiante (Ponge et Heidegger! Il fallait y penser...). À vous seul, vous confirmez le bien fondé de ma démarche. Pour un peu plus je vous embrasserais et, faute de mieux, vous inclus d'emblée dans la liste des collaborateurs émérites de la Chaire de recherche en littérature transgénique. Et je vous donnerai à lire sous peu un exemple de LTG de mon propre cru : La révocation de Lady Denante.