mardi 21 novembre 2006

Les rudiments bis

Je sens que je ne vous ai pas encore toutes et tous convaincus.
Allons-y d’un deuxième exemple!
J’ai le cœur joyeux, voyez-vous, je me sens généreux, malgré le temps maussade et le fond de l’air. Je me suis entendu avec Mme Juliette April de l’UNEQ. L’union m’invite! Moi qui n’ai jamais été syndiqué! Ils veulent entendre parler de ma nouvelle invention. Je suis invité à prononcer une conférence dans le cadre de leurs soirées littéraires. Oui, moi, Éric Lint, titulaire de chaire, dans le cénacle des écrivains… Mais ne nous laissons pas distraire.
Ouvrons cette fois, si vous le voulez bien, Anna Karénine de Léon Tolstoï. Concentrons-nous sur la toute première phrase du texte, ce que les diplômés nomment un incipit (pour faire simple : l’incipit est l’occiput du texte). La phrase nous apprend que « Toutes les familles heureuses se ressemblent. Toute famille malheureuse l’est à sa façon.»
Disons qu’on veuille moderniser le tout. Parce que les familles heureuses nous rendent maussade. Ou parce que le malheur, quand il s’abat sur une famille, rend tout méconnaissable. On sélectionne alors un gène d’un auteur un peu plus sarcastique, qui sait manier le verbe comme un cruciverbiste et qui n’a pas froid aux genoux, et on l’insère dans les divers syntagmes de la phrase. Qu’est-ce que ça donne? Oui, vous avez deviné juste : une toute nouvelle phrase! Plus incisive. Peut-être même légèrement salace…
Ce gène, il peut venir d’un roman de Vladimir Nabokov. Cet auteur correspond parfaitement au profil identifié. On prend le gène et on l'incruste dans la phrase de Tolstoï. Les résultats sont d’emblée spectaculaires.
Je les cite, vous serez ébahis : « Toutes les familles heureuses sont plus ou moins différentes, toutes les familles malheureuses se ressemblent plus ou moins. »
Ce n’est plus aussi naïf, n’est-ce pas? Et ça nous parle directement. Ça touche au cœur, ça émeut, des larmes tracent de minces lignes sur les joues des adolescentes au cœur sombre (Dolorès, oh! toi, ma douloureuse). Tous les malheurs, même s’ils paraissent relatifs, sont une fin du monde. Et il faut savoir s’en remettre, j’en sais quelque chose.
Si on fait, maintenant, la même opération sur l’ensemble du texte, on aura un tout nouveau roman où la fresque de Tolstoï se déploiera sur le mode ironique de Nabokov. On pourra d’ailleurs nommer ce nouveau roman, osons!, Ada Karénine.
Ce n’est qu’un très bref exemple, mais on devine peut-être mieux maintenant les balbutiements de cet art qui, lorsque je serai parvenu à le maîtriser, changera le visage de la littérature mondiale!
Tous les rêves sont permis…
Aucun ne m’échappera.

1 commentaire:

Unknown a dit...

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