samedi 10 février 2007

Croustilles


Emmanuelle Alba – Que Dieu ait son âme! – est arrivée avec des résultats qui me sidèrent. Seule dans son coin, dans son local exigu et sans fenêtres, avec un vieil ordinateur qui n’a pas été mis à jour depuis des siècles (on se comprend), elle a réussi à faire fonctionner le protocole TRANSLIT! Toute seule. Sans mon aide. Sans ma supervision.
Il n’y a pas à dire, l’avenir appartient à la jeunesse. Oui, à la transjeunesse. Ha ha!
Comme un albatros, déployant ses ailes et traversant l’espace qui sépare le virtuel du réel (je me sens baudelairien), elle a produit une œuvre inédite, semblable au marbre mais plus chaude au toucher et d’une blancheur éclatante.
Je me sens subitement tout fringant, comme un jeune thon blanc.
Emmanuelle, on ne l’approche qu’avec des gants albanais, les vitre vibrent à son arrivée. On se sent tout chose, mais on ne le montre pas. On maudit son âge, ses rides, ses années disparues dans l’enfer du passé.

Emmanuelle, elle est entrée en trombe dans le local de la Chaire. Des papiers plein les bras, des feuilles fraîchement imprimées et qui sentaient le livre neuf, ouvert pour la première fois. Emmanuelle sentait la promesse. Et la parole tenue.

(scène 3, acte 2)
- Boss!
(C’est comme ça qu’elle m’appelle dans ces moments d’intimité que nous partageons entre deux repas.)
- Oui, Mademoiselle Alba?
- Ça marche, boss. J’en ai.
- Du lait?
- Mais non! Des résultats. Ça a marché.
- Quid?
- Le protocole TRANSLIT!
-Je ne vous croyons pas.
- Te dis!
- Nenni.
- Si si.
- Non!
(Bon, j’arrête ici, on va croire que je fais du Louis de Funès, moi qui ai toujours détesté ce type, lui préférant de loin, dans le cabotinage, Peter Sellers ou Darry Cowl.)

Interprétation de la scène :
On aura compris le vif étonnement, voire l’incrédulité massive du citoyen Lint devant la nouvelle d’Emmanuelle. Il ne faut jamais tuer le messager quand les nouvelles sont mauvaises, mais peut-on embrasser la messagère? Ou est-ce le prélude à un autre enchaînement aux conclusions apocalyptiques comme avec la laitière Perrette du sieur de la Fontaine?
Quoi qu’il en soit, Emmanuelle tenait dans ses fines mains trois pages imprimées à jets d’encre tout aussi fins. Et ces pages contenaient les premiers résultats concrets de l’application du protocole TRANSLIT.
Alléluia!
Je les ai lues, les larmes à l’œil.

Emmanuelle avait décidé de travailler à partir de choses toutes simples. Elle avait jeté son dévolu sur Les contes de la mère l’oie. Pour être plus précis, elle avait travaillé sur The Mother Goose’s Rhymes. Grande amatrice de chips au sel et au vinaigre, elle s’est penchée, mais sans tomber (ha! ha! J’ai le cœur à la rigolade, je n’y peux rien) sur le plus célèbre des contes de la mère l’oie, l’inoubliable « Humpty Dumpty ».

Je vous le donne à titre indicatif :

Humpty Dumpty sat on a wall.
Humpty Dumpty had a great fall.

And all the king's horses,

And all the king's men,

Couldn't put Humpty together again.


C’est la simplicité même, on en convient.
Emmanuelle ne s’est pas laissée distraire par des images de son enfance, ni par son appétit insatiable pour les croustilles du même nom, elle a plutôt cherché à insérer divers gènes littéraires.

Son premier exercice, elle l’a intitulé le « Test van Rooten ». Il s’agit d’une manipulation minimale, fondée sur l’application du module d’écho à phonèmes et de maintien prosodique, manipulation opérée avec un gène mallarméen.
Eh bien, pour la première fois, les résultats ont été positifs.
En témoignent le texte ci-joint :

Test van Rooten (n°318)

Un petit d’un petit
S’étonne aux Halles

Un petit d’un petit
Ah! Degrés te fallent
Indolent qui ne sort cesse

Indolent qui ne se mène

Qu’importe un petit d’un petit

Tout Gai de Reguennes.



Son deuxième exercice, intitulé « Test Leberwurst », a consisté en une seconde application du module d’écho à phonèmes et de maintien prosodique, avec cette fois, un gène rilkéen.
Les normes scientifiques nous engagent à reproduire les résultats initiaux, pour éviter toute simulation.
Or, le deuxième test d’Emmanuelle a été tout aussi concluant que le premier. Une pure merveille! Qu'on en témoigne:

Test Leberwurst (n° 319)

Um die Dumm’ die Saturn Aval;
Um die Dumm’ die Ader Grät fahl.

Alter ging’s Ohr säss und Alter ging’s mähen.

Kuh denn « putt » um Dieter Gitter er gähn.


Dans l’un et l’autre cas, c’est du charabia, on peut se le dire, mais quel résultat de la part d’une assistante! Et pour une fois, le test n’a pas dû être arrêté en cours de route. Pour une fois, le système ne s’est pas détraqué. Le choix de Rilke était osé, avec lui, les roses se transforment facilement en petit dieu grec. Mais tout de même!

It works! Ai-je le goût de crier. It really works! Two, five, four, six oh! one, one.

Attendez que je confonde les sceptiques! Les Calumet et les Surprenant de ce monde.
Attendez que j’arrive.
On en parlera à l'arrivée du tour.

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