jeudi 15 février 2007

Le septième commandement

J’ai dû grincer des dents toute la nuit.

GRICHE GRICHE GRICHE

Je me suis réveillé et quand j’ai commencé à manger mon muffin du matin au son et à l’avoine (oui, oui, pour les raisons que vous imaginez), je me suis rendu compte que j’avais très mal à la mâchoire inférieure. La moindre mastication me faisait souffrir, comme après avoir été chez le dentiste, quand on a dû ouvrir tout grand la bouche pendant trois quarts d’heure et que, le lendemain matin, on en ressent encore les effets.
Je sais très bien ce qui m’a préoccupé toute la nuit, et vous pourrez peut-être, chère lectrice, me conseiller.
À quoi ressemble une pécheresse?
Je vous le demande.

La Bible n’est pas très claire sur le sujet. Marie-Madeleine, oui. Quelques femmes de basse fréquentation, itou. Saint Luc s’étend sur la parabole de Jésus et de la pécheresse qui, malgré l’ignominie de sa situation, se montre plus généreuse que le premier des comptables agréés (7, 36-50). Mais dans les faits, en chair et en os, à quoi ça ressemble?
Comment faire pour en reconnaître une et séparer, autre parabole à la clé, le bon grain de l’ivraie? Je pose la question car je suis indécis. Je n’arrive pas à me prononcer et je me sens concerné.
Si la pécheresse ressemblait à Mata Hari ou à Paris Hilton, ce serait facile. Les signes seraient là, comme un A sur la robe de Hester Prynne dans The Scarlet Letter de Hawthorne. Il suffirait d’être alphabétisé pour capter le subtil signal (comme nous ne sommes pas américains, malgré la proximité géographique, ce serait un P, comme pour « pécheresse » ou « péché » - it’s on my mind folks!).
Ce long préambule ne sert qu’à une seule chose: introduire mon dilemme.

Voici de quoi il s’agit :

Nous étions le premier décembre 2006. Je travaillais sagement dans mon bureau. Et je dis sagement en toute connaissance de cause. Je venais de passer le matin à rédiger un long billet pour expliquer à ma lectrice les rudiments de la littérature transgénique (LTG). J’avais même conclu, pour lui faire comprendre l’essence de mon procédé, que « la littérature transgénique sera aux lettres, ce que le cinéma est aux premiers phénakistiscopes. » Je n’étais pas peu fier de ma formule et la contemplais comme le flâneur s’immobilise devant une vitrine, quand subitement apparut une femme, vêtue d’une robe noire, comme dans un polar de Benjamin (Paul, pas Walter).

- Puis-je? m’a-t-elle demandé en s’introduisant dans mon bureau.

Je lui ai fait un geste indistinct de la main et grommelé un très imprécis « m’ouais ouais ouais ouais ». Je n’aime pas, comprenez-vous, qu’on pénètre dans mon espace personnel, du moins sans y être formellement invité, et cela deux jours à l’avance.
Elle a posé son café et son portable sur le bout de ma table, espace récemment libéré par votre humble serviteur, suite à une attaque subite de nettoyage (enfin de session, on devient tous très nerveux.) Et elle s’est mise à pianoter, comme si je n’étais pas là et que cette table ne faisait pas partie de ma chaire. Elle tapochait consciencieusement sur son clavier. J’ai décidé de l’imiter et suis retourné nonchalamment à mon propre ordinateur. Il n’aura pas été dit que, dans ma chaire, il y avait quelqu’un d’autre que moi aux commandes.

- À quoi travaillez-vous? a-t-elle fini par me demander, attirée par mon indifférence.
- Je fais de la littérature transgénique.
- Et qu’est-ce que c’est?

Je n’ai eu d’autre choix que de reprendre mon explication. La LTG, le protocole TRANSLIT, la CRLT.
Évidemment, je me suis emporté. Mais qui ne le ferait pas dans de telles circonstances? Elle m’a déclaré avoir elle-même sa propre production, un truc lié à la philatélie, si j’ai bien compris, ou aux phylactères, ces talismans égyptiens.

À ce moment, je n’ai eu qu’un seule envie : fuir impérativement. La présence de cette pécheresse dans ma chaire perturbait mes sens et cet équilibre que de longues nuits de méditation m’avaient permis d’établir entre mon corps et son esprit. J’ai cru déceler dans son regard le tout premier signe, mais de quoi? Je ne sais pas. Je préfère ne pas le savoir. Ce qui est sûr par contre, c’est qu’un vent de panique a soufflé sur ma chaire et je me suis envolé, comme les feuilles à l’automne lors de bourrasques.

À mon retour, je me sentais penaud, il va sans dire, et secoué. Mais, trouvant mon bureau vide, j’étais aussi soulagé. Je pouvais reprendre mes tâches là où je les avais laissées.

(à suivre)

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