vendredi 24 novembre 2006

Ancêtres transgéniques

Mes épaules ploient sous les responsabilités. Une nouvelle forme littéraire, vous vous imaginez! Que dirons de moi les générations futures? Les auteurs de demain. Je dois peser tous mes actes, surveiller mes dires, le monde à venir examinera mes moindres gestes, je dois être à la hauteur.
C’est le contemporain que je construis! Et je le fais une brique à la fois…
Mais je me console en pensant à mes ancêtres, à tous ces auteurs qui avaient déjà anticipé l’apparition du transgénisme littéraire. Je pense à Cervantès, à Jorge Luis Borges et à Italo Calvino. J'ai en tête les Laurence Sterne, Guy Tournaye et Enrique Vila-Matas de ce monde. Ils ont tracé cette voie que je poursuis maintenant dans l’abnégation la plus complète (si on oublie mes émoluments à titre de titulaire de la chaire de recherche en littérature transgénique de l’UVAM). Je pense aussi à Georges Perec et à Raymond Queneau, les illustres fondateurs de l’ouvroir de la littérature potentielle, à quelques pas à peine du transgénisme (j'ai longtemps songé à intituler ma chaire L'Oulitra).
Il y a James Joyce aussi, dont il faudra bien que je parle un jour, même si je suis incapable de lire plus de dix lignes de ses deux dernières œuvres sans sombrer dans un coma profond. Mais quel précurseur! Son Finnegan’s Wake est à la littérature transgénique ce que les profiteroles sont à la crème chantilly.
Plus près de nous, je ne peux oublier l’écrivain américain Donald Barthelme. Un illustre inconnu maintenant, mais un monstre sacré en son temps. Je bois un verre à sa carrière et à son art. Sa mort en a laissé plus d’un déconfit. Les pères finissent toujours par mourir et leurs fils doivent apprendre à reprendre le flambeau. Barthelme, c'est le père mort.
Certains de ses collages sont des prototypes du transgénisme littéraire. Il a appliqué une version rudimentaire et manuelle du protocole TRANSLIT, incrustant des syntagmes et des segments de phrases d’auteurs célèbres dans ses propres textes, créant ainsi des hybrides aux propriétés voisines du transgénisme.
Sa nouvelle la plus transgénique est, j’en mettrais ma main au feu, « L’ingénieur deuxième classe Paul Klee égare un avion entre Milbertshofen et Cambrai en mars 1916 » (in Émeraude, Paris, Denoël, 1992). Paul Klee, le célèbre peintre allemand, y apparaît non seulement comme personnage, mais comme un des auteurs-palimpsestes du texte (l’auteur-palimpseste est, aux dires des diplômés, l’auteur d’un texte en partie effacé, mais toujours perceptible dans un nouveau texte qu’il vient miner de l’intérieur – les brésiliens diraient « phagocyter »). Barthelme a produit un extraordinaire collage (à partir du journal de Paul Klee), qui anticipe sur le transgénisme dans tous ses aspects, sauf l’automatisation des procédés. Barthelme a tout fait à la main, mais son rêve est le mien. Ce serait trop long ici de le démontrer noir sur blanc, mais je conjure mes lecteurs, s'il en est, d'aller lire la nouvelle, le journal de Klee bien en main. Les résultats sont époustouflants. (Je dois à J.R. Berger, mon collègue et ami, d’avoir attiré mon attention sur cette nouvelle. Qu serait-on sans ami?)
La littérature ne se travaille pas seulement en surface, dans le développement de ses strates superficielles, mais en profondeur, au cœur même de sa chair et de ses organes vitaux.
Ils sont nombreux mes ancêtres, je leur dois cet avenir que je regarde sans cligner des yeux. Ils m’ont montré la voie et j’entends la suivre en dépit des sarcasmes et des médisances.
Des sarcasmes et des défections.

3 commentaires:

Unknown a dit...

Et Tom Phillips dans tout ça???

CABANON PRODUCTIONS a dit...

Merci de me faire figurer en si bonne compagnie.
bien à vous,
guy tournaye, le décodeur

Anonyme a dit...

Oh, un p'tit coma de temps en temps, ça fait du bien ; )