vendredi 19 janvier 2007

La poignée


Mon épiderme n’offre qu’une très faible résistance aux coups de semonce d’un monde qui confond savoir et savon.

J’aimerais me plaindre ici officiellement du clientélisme qui sévit chez nos jeunes gens qui peuplent les classes que nous devons donner pour remplir nos obligations contractuelles. Depuis leur enfance, on leur a appris à se comporter comme des clients. Ce ne sont plus des étudiants, mais des consommateurs. On ne leur donne plus des cours, on leur offre des services et des produits.
Je m’excuse : je suis un professeur d’université, pas un vendeur de chars usagés, qu’on se le tienne pour dit. Je ne dispense pas un service, j’essaie de transmettre un savoir.

Puis-je sortir de mes gonds quelques instants?
Merci, mesdames.

C'est un grave malheur pour l’éducation contemporaine, et plus encore pour l’humanisme occidental (dont je suis, après tout, un représentant) que cet uniforme et vil prurit de consommation de masse effrénée et compulsive... Notre goût en est si profondément perverti et nous sommes devenus si impatients de satisfaire ainsi notre concupiscence que seule la part la plus superficielle et la plus charnelle des enseignements pénètrent les consciences: les digressions subtiles et les secrets enseignements s'évaporent comme des djinns, les lourdes moralités se précipitent et nous échappent, les unes et les autres étant de la sorte aussi perdues pour le monde que si elles fussent restées au fond de l'encrier.
Et ce n’est pas moi seul qui le dit!

Mais quelle mouche a piqué Éric? demande l’auteur de ces lignes, qui se font dans la masse anonyme des sternes du St-Laurence.
Qu’on en juge par l’extrait suivant :

Acte 1, scène 2
(didascalie : Éric Lint (EL) est dans son bureau, à la Chaire, il est furieux et tente tant bien que mal de se retenir. En face de lui, un étudiant indolent (IE), plutôt volumineux et aux cheveux gras, est avachi sur une chaise…)
EL : Mon enfant, vos lectures n’ont pas été faites. Votre assiduité au cours est nulle. Expliquez-vous!
IE : Man, de quessé? T’te dois rien.
EL : C’est un cours que vous suivez, pas un spectacle. Je m’attends à votre présence en classe. Je n’accepterai plus aucune absence.
(Remarquez le ton digne et retenu, malgré la colère qui pointe son vilain nez à l’horizon, du professeur Lint dans cet échange.)
IE : Fuck! J’viens si ça m’tente, cé toute!
(C’est, vous l’aurez compris, une transcription approximative des propos incohérents de l’étudiant. Je n’ai pas encore tout à fait maîtrisé l’art abscons de la translittération.)
EL : C’est plutôt une obligation. L’entente d’évaluation a été acceptée. Vous y êtes liés.
IE : Ouain, si j’trouve ça plate… J’fais quoi? Hein?
EL : Ce n’est « plate », comme vous dites, que parce que vous ne suivez pas. Pensez-vous que je ne vous ai pas vu lire le journal et jouer avec votre téléphone à poche! Ou vous décrotter le nez! Plate? Je suis épaté par votre ineptie.
(Remarquez, chères lectrices, le subtil jeu de mot.)
IE : Man, j’fas ce que j’veux!
EL : Justement non. Vous avez des devoirs.
IE : KMA!, si j’achète un char, je dois rien au concessionnaire! Si je fais pas les mises au point, cé d’mes affaires. Cé mon char! Pis lui y a rien à redire. Si cé mon trip de le scraper, fuck lé… Cafaque… sté!
EL : Un cours à l’université n’est pas une auto! Ce n’est pas un gadget. Quelle idée! Vous n’avez rien acheté, vous avez payé pour un privilège. Un privilège! Or, le savoir implique des responsabilités.
IE : Y é plate ton cours, man, on charche yinque des bébites danlé textes. Ça veut rien dire. Cé d’la marde.

(La suite se passe de commentaires. Disons pour faire bref que le professeur Lint a perdu patience et que les niveaux de langue se sont subitement ajustés. Une méchante débarque, si vous voulez mon avis.)

J'ai imposé un châtiment à cet indolent étudiant : les coups de fouet n’étant plus permis, je l’ai exclu d’emblée de mon séminaire et de toutes les activités de la Chaire de recherche en littérature transgénique.
Ce ne fut ni par tyrannie, ni par cruauté, mais par le meilleur des motifs, je ne m'en excuserai donc pas auprès du directeur du département, qui a été aussitôt averti de l’esclandre. Je veux combattre le goût malsain qui s'est insinué dans l’esprit de cet étudiant et dans mille autres et qui les porte à prendre le savoir pour un vulgaire machin à dix sous, tout aussi facile à jeter qu’à se procurer. L’érudition n’a rien à voir avec l’éructation. Et je n’aime pas qu’on me prenne pour une valise.
Il y a des limites…

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Et sous d'autres latitudes... ?

Les notes...

Une étudiante d'origine... espagnole ?

"Dernier le week-end j'ai fait rentrer a la maison pour le trén. J'ai travaillé pour le tren a vignt neuf huers a rentre a la maison. Je suis de New York. Trèn, n'est un TGV e famiel fache trop quand bu 3,8/5.

Une Acadienne maintenant, étudiante en biologie... qui a eu... 4.2/ 5

"J'aurions jamais eu ça avant une note d'mêêême ! Cossé qu'ma fère quand dady va connaître c't'histouère ? Ben moé j'cré ben qui va t'téléphoner parce que si j'g'ardions pas ma moyenne, j'pourrions jamais awouère ma scholarship ! "

Et une future étudiante en Droit...

"Les habiletés que j'ai apprises en travaillant sont essentielles pour poursuivre les études et une carrière dans le domaine de la loi. Je fais mainenant une MAJOR en français avec une MINOR en journalisme. A mon avis, c'est une combine idéale pour quelqu'un avec des aspirations de travailler dans la communitie legale. Je suis complètement bilingue, ayant parlé le français ainsi que l'anglais depuis mon enfance. Je ne comprends absolument pas que vous m'avez donné une note aussi basse.

Elle a eu 4,4 /5

EG Zaspérée