vendredi 12 janvier 2007
Du trop plein
Je vis à plein le paradoxe du menteur. Et ça s’aggrave avec les entrées.
Quand l'université est vide, comme elle l'a été pendant les vacances de Noël, je suis désemparé et, comment dire, esseulé. Où est passé tout le monde? Que vais-je faire de tous ces couloirs désolés, de toutes ces portes fermées, de ces bancs de cafétéria vides de tout postérieur? Rien. Il n'y a rien à faire d'autre que de regarder le vide et de chercher à le remplir afin lui donner une forme. Le prophète de Giorgio de Chirico ne ferait pas mieux.
C’est simple, je me sens abandonné, comme un bébé naissant dans un orphelinat.
Une âme errante vient-elle à s'approcher de mon bureau dont la porte est ostensiblement ouverte, que je l'interpelle, même s'il s’agit d'un gardien de sécurité, dont la conversation est inférieure à celle d'un enfant de sept ans (l'âge de raison, vous vous souvenez?), ou d'un collègue venu chercher un document compromettant dans son bureau ou alors rencontrer discrètement une étudiante aux atours affriolants - et dans ce cas la conversation est encore plus désolante: « Ah, tu es là? » - « On dirait. » - « Pas de vacances? » - « C’est pour les traîtres. » - Tu devrais sortir un peu plus, ça te changerait les idées. » - et ainsi de suite.
Pétri par l'humiliation de la solitude du chercheur de fond, dès que le collègue s’éloigne, je regrette amèrement lui avoir adressé la parole, certain qu’il ira colporter les plus basses vilenies sur mon sinistre sort.
Ma chaire est abandonnée et je le ressens jusqu'au fond de mon âme. Le soir, j’arpente les étages lugubres de ma faculté et tremble chaque fois qu’un bruit incongru traverse le seuil de mon oreille interne. Je voudrais un peu d’animation. Des cheveux dépeignés, des t-shirts déchirés et des cartables ouverts sur des notes illisibles.
Mais il n’y a rien. Qu’un Robinson sur son île déserte, comme dans un épisode de Lost halluciné.
Ma vie est un bunker dont les clés ont été jetées aux oubliettes. C’est vendredi et je voudrais qu’on m’aime.
Et le paradoxe dans tout ça? Ah oui, le paradoxe…
Éric Lint est un menteur.
Comme tous les Crétois d’ailleurs.
En fait, la contradiction éclate au grand jour quand, en début de session, comme cette semaine, les étudiants envahissent le campus. Tout à coup, les couloirs naguère déserts sont inondés d'une marée de corps et d'élèves. D’esseulé, je deviens dépossédé.
J’étais seul dans mon royaume ; maintenant, n’en jeter plus, la cour est pleine !
Et les étudiants crient comme des déchaînés. Ils squattent les couloirs devant les portes de séminaire fermées à clé et parlent au téléphone à tort et à travers. Mais d’où viennent tous ces corps? Que font-ils là? Qu’attendent-ils pour retourner à la maison? Il n’est plus possible de s’entendre respirer.
Je suis injuste, je le sais. Je devrais me faire conciliant, ces lieux ne m’appartiennent pas vraiment, et les étudiants ont droit d’y être autant que moi. Mais j’apprécierais un peu plus de discrétion. Il y a des gens qui travaillent ici ! Même si leur production n’est pas à la hauteur des attentes.
C’est la marée humaine qui me perturbe. Après avoir passé des jours avec ma baguette de sourcier à rechercher la plus infime présence humaine en ces lieux, voilà qu’il me faut un barrage pour m’en protéger. Avouez que l’écart est considérable. Et de quoi ai-je l’air avec mes baguettes en l’air ?
La preuve est faite : il n’y a pas de juste milieu. L’université est ou trop vide, ou trop pleine. C’est comme le temps : il ne passe jamais à la vitesse désirée. Il accélère quand on voudrait le voir ralentir et il se vide quand on l’aimerait plein.
Si seulement mon esprit pouvait s’ajuster à toutes ces fluctuations… Si seulement le protocole TRANSLIT pouvait commencer à donner des fruits. Toutes ces heures passées à affronter la solitude et les masses débridées des générations futures ne seraient pas vaines. Je serais enfin légitimé.
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1 commentaire:
Cher Éric,
pour t'aider à contrer cette solitude qui te tourmente et te supporter dans l'attente de cette soeur Angèle à laquelle tu aspires tant, j'ai pensé te proposer cette lecture : "Viande froide cornichons : crimes et suicides à mourir de rire", d'Édouard Launet, paru chez Seuil. En étant, évidemment, fort prudent (promets-le moi), je crois que tu trouveras là matière à tuer l'ennui, si je puis m'exprimer ainsi. Certes, le tracteur n'est pas la solution rêvée bien qu'il puisse inspirer de fort belles poésies, mais l'argent de ta chaire te permettra certainement de t'offrir un aspirateur. De cette manière, je crois que tu seras en mesure de combler, temporairement tout au moins, tes aspirations, tout en évacuant pour ainsi dire ce "trop plein" qui t'afflige.
Amicalement,
Edith
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