jeudi 5 avril 2007

Tous à l'abattoir!

Chère Mme Slother,
Je vous remercie de l’attention que vous avez portée à mes digressions virtuelles, et tiens à m’excuser du retard que j’ai accumulé dans le traitement de mon volumineux courriel (quel est la poids des pensées? demandait un illustre inconnu, boulanger de son état... Quel est le poids des missives virtuelles?)
Vous, qui êtes de la cinquième maison (car je me doute bien que votre nom complet est Mme Sarah Slother House Five), vous devez sûrement savoir que les pèlerins comme moi ne peuvent avoir tout lu et qu’il est fort possible que nous en échappions une, de temps en temps. Mes doubles foyers ne sont pas au point, il me faudra bientôt revoir mon optométriste (j’en connais un bon sur la rue de Dresde, tout près du square de Tralfamadore), mais entre temps je ne veux pas perdre mon temps et le vôtre, quoique je me sens un brin atemporel par les temps qui courent.
Vous me parlez d’un certain Philippe Muray (avec un seul r), qui croit que le biologique sera bientôt chose du passé, voire chose dépassée. Je ne sais quoi vous répondre. Il faudrait demander à Eduardo Kac, pour qui de telles recherches sont au cœur de sa démarche artistique. Il vous répondrait sûrement que le vingt-et-unième siècle sera transgénique ou ne sera pas.
Vous citez ce cher Muray qui déclare : « On demandera aussi, sans doute, qu’il [le genre, j’imagine] ne soit plus mentionné dans la presse, dans les médias, dans les livres, dans les romans. Ou alors sous la forme paritaire toujours si gracieuse : La-le-Mère-Père Goriot, Madame-Monsieur Bovary, Les Sœurs-Frères Karamazov-a, La Reine-Roi Lear, La Princesse-Prince de Clèves, Lucien-ne Leuwen. »
Je ne sais vraiment pas où il va chercher cela! Quel Emmuray vivant!
Il me suffit de voir Emmanuelle Alba ou de penser à Victoria W pour m’assurer que le biologique est bel et bien présent et qu’il requiert instamment qu’on s’occupe de lui. Mais surtout, quels mauvais titres!
La Reine-Roi Lear… Mais ça ne va pas du tout. C’est moche et sans aucune poésie.
Le petit prince Lear
, là c’est autre chose. On sent immédiatement que le mouton ne sera pas dessiné, mais égorgé comme un agneau, et que la rose sera fanée avant même d’être coupée.
Madame Edwarda-Monsieur Bovary, déjà là il y a de quoi initier une bataille! Et que la pauvre Emma se le tienne pour dit. Les lupanars ne poussent pas dans les arrière-boutiques des apothicaires, comme des champignons.
Je ne connais pas, Mme Slother House Five, ce Muray que vous semblez porter en haute estime. Pour lui, il semble que l’histoire se termine, mais pour moi, Éric de la Chaire (ça en jette, n’est-ce pas?), elle ne fait que commencer.
Demain est la veille d’un jour nouveau. Qui, lui même, est le premier du mois. Un siècle complet s’ouvre (que dis-je, un millénaire!) et je ne puis qu’espérer que la littérature de demain saura répondre au marasme d’aujourd’hui, qu’elle saura ramener dans le bon chemin les âmes égarées, qui n’en ont plus que pour leur écran et leur ipod.
(Je m’arrête, entre autre parce que je ne sais vraiment plus ce que je suis en train de raconter. J’ai un transman en chantier, je prie pour que le protocole TRANSLIT ne me fasse pas encore faux bond.)
Adieu.

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Monsieur Lint,

Je ne crois pas que vous ayez compris la position de Muray. Ça m’apprendra à citer de si grandes pensées hors contexte! En fait, je vous le précise parce que Muray dit un peu comme vous. Pour lui, il n’y a pas de littérature sans biologie. La littérature ne se conçoit que dans un univers où il y a différence sexuelle. En ce sens, il croit que la biologie disparaît dans le monde intellectuel sous les bons soins des derridiens et des féministes – deux groupes tout aussi vertueux l’un que l’autre qui engendrent naïvement de bien tristes ravages. Vous êtes Montréalais, non ? Il me semble que dans votre patelin il existe de ces universitaires qui affirment fort sérieusement que la différence sexuelle n’existe pas. Pour Muray, les absurdités des féministes se termineront avec une littérature épurée où le titre de Balzac deviendra La-le-Mère-Père Goriot. L’essayiste blague bien sûr, mais pas tant que ça…

Sarah Slother

P.S. La cinquième maison? Quelle est cette énigme digne du père Fouras?

Éric Lint a dit...

Chère Mme Slother,
j'aurai donc lu de travers ce que Philippe Muray a écrit. Mais, comme je vous l'avais dit, je ne connais rien de cet auteur... Et comme les critiques fusent de partout, je suis sur mes gardes. Je sors l'épée à la moindre occasion.
Pour ce qui est de la cinquième maison, là, vous me décevez un peu (ou alors: j'ai été l'objet d'une illusion, ou ce que les Américains nomment : "a deception"). Je vois que, si vous lisez les Muray de ce monde, vous ne connaissez rien à cher Kurt Vonnegut Jr. C'est dommage, son Slaughterhouse-five est de toute beauté...

Anonyme a dit...

Je sais bien sûr orthographier mon prénom! C'est bel et bien Slother et non Slaughter! Il faudrait plutôt voir du côté de Thomas Bernhard. Vous avez cependant su deviner mes penchants violents (puisqu'il est question de bombardements dans la cinquième maison, non?). Il faudrait que j'y jette un coup d'oeil prochainement.