Emmanuelle Alba, mon assistante, est sortie de mon bureau en hurlant dans le corridor, « je suis en lavette! »
Étrange mot que celui de « lavette ». Il a fallu que je me retienne pour ne pas répondre, mais j’ai craint de voir mes propos mal interprétés.
Il y a quelques années, une voisine qui avait une femelle, un bâtard sur fond de berger allemand avec de grandes oreilles noires et un regard innocent, nous a accostés un jour sur la rue Beaubien, un ami et moi qui discutions de choses et d’autres (c’est bien la seule chose qu’on peut faire sur la rue Beaubien, si vous voyez ce que je veux dire). Époumonée, elle a déclaré sans crier garde: « Tizoune est en rabette pis a s’est faite planter! » L’anxiété lui ridait le front.
J’avoue avoir été décontenancé (on le serait à moins!). Mon ami, qui connaissait le terroir comme le fond de sa poche, a vivement réagi : « Ç’a pris combien de temps? » s’est-il renseigné sans perdre de son sang froid. « Une menute! », a-t-elle répondu d’un bref couac. « Faites-vous en pas d’abord », qu’il lui a dit en lui faisant un clin d’œil soutenu, l’air de dire comme de bien entendu.
Übersetzer übersetzen! Bitte!
C’est à cette pièce d’anthologie que je pensais quand Emmanuelle est sortie de mon bureau, en criant comme elle l’a fait, avant de se planter devant le ventilateur de sa table de travail.
Son cri a longtemps résonné dans mon oreille interne.
Emmanuelle en lavette… C’est fou quand on y pense tous ces mots qui se ressemblent et les pensées qu’elles distillent en notre for intérieur.
Un petit linge pour les travaux ménagers. Et moi, à ses côtés, je suis une vraie lavette, une chiffe qui attend son heure, sachant que les chiffres sont contre lui.
On pourrait croire que la littérature transgénique est faite de chair et qu'il entre dans sa fabrication d’innombrables manipulations sur du vivant, des éprouvettes remplies de liquides multicolores, des boîtes de Pétri pleines de micro-organismes. Rien de tout cela ne trône sur les bureaux de ma Chaire. Le protocole TRANSLIT est fait de code informatique, les gènes littéraires sont des substrats à base de sèmes. Je ne travaille pas avec des pipettes, mais avec des POST-IT. Je passe des journées entières sans jamais me salir les mains. Mais les ordinateurs dégagent énormément de chaleur et l’air dans le local devient rapidement torride. Emmanuelle ne le supporte pas (ceci explique cela).
Je vous les dis : mes lavettes sont sèches. Je le répète : mes lavettes sont sèches. Et mon âme est pure, à défaut d'être belle.
Le soir, quand je fais mes rondes dans les couloirs aux environs de la Chaire, je prête l’oreille et je discerne le staccato irrégulier des claviers qui s’interrompent à mon passage, des bribes de conversations étouffées, des fous rires qui me rendent nerveux. Qu’est-ce qui se trame dans les couloirs des Arts du texte? Certains personnages du théâtre élisabéthain craignaient comme la peste les fantômes et les spectres, les cryptes et les rivières souterraines. Moi, ce sont les collègues qui me méprisent et qui me lancent des regards assassins. Les sous-entendus qui courent comme des rats les égouts.
Ma Chaire cause bien des jalousies. Mon équipement est ultra-moderne. On sous-entend que je ne la mérite pas. J’aurais été hypocrite, tirant parti d’une situation politique instable. Foutaises!
« Les sceptiques seront confondus! » disait un héros de mon enfance. Comme lui, je suis capitaine. Comme lui, je marche vaillamment vers de nouvelles aventures. Comme lui, je me moque des qu’en-dira-t-on.
Je dois simplement me remettre au travail.
samedi 16 décembre 2006
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Un grand danger menace la littérature transgénique et ce danger a un nom: Charles-José Bovéry. Médecin de son état, cet homme est devenu arracheur de page transgénique suite au comportement de sa femme Emma. Celle-ci, lectrice passionnée des textes transgéniques, rêve d'un amour du même type et délaisse son ménage ainsi que son mari...
Jean-Philippe Kolmar
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