mercredi 27 décembre 2006
L’anse déçue
Noël est une fête chrétienne et je me sens païen jusqu’à la moelle.
Je me veux étranger à toute cette agitation qui secoue les portefeuilles et assène des raclées aux râteaux de ce monde.
J’ai le jeu de mots mauvais.
À ma décharge, il faut dire que je me sens comme une vieille tasse à laquelle il manque une anse. Je crains qu’on ne sache plus comment me prendre et je suis là, comme un benêt sur mon étagère, à attendre dans le noir que la porte s’ouvre. Et quand enfin une main généreuse consent à faire de la lumière et à se tendre vers l’une de ces orphelines cachées dans le placard, je ne suis jamais choisi, sauf pour les basses tâches… La tasse sans anse sert aux travaux ménagers et aux préparations culinaires.
Où est l’ange qui me redonnera mon anse?
Il est déchu et je suis déçu.
Emmanuelle Alba est en vacances avec son amoureux. Un futur diplômé des arts du texte! Un spécialiste de la poésie concrète et répétitive. Ils se sont loué un chalet dans les Basses Laurentides et Dieu sait à quelle luxure ces moments de stupre volés au quotidien harassant des pratiques textuelles universitaires donnent lieu! Je n’aime autant pas y penser. Je suis trop vieux pour elle, mes formes de plus en plus lourdes ne mentent pas, mais je ne peux m’empêcher de rêver à de basses œuvres sur ses formes angéliques.
Triste ère. Oui, je suis un triste hère. Mon air est triste. Et de mon triste pas, j’erre et je gère ma tristesse. Je me suis emballé, ce midi, un cadeau. Un livre qui traînait dans la bibliothèque et que j’ai choisi pour sa couverture rouge. Il me fallait bien mettre quelque chose au pied de mon arbre en papier! Je suis païen, mais pas vaurien.
Je me suis dit que la meilleure façon de lire ce livre depuis longtemps abandonné, comme s’il lui manquait une anse, était de me le redonner, de faire comme s’il était neuf afin de lui restituer une aura.
Je tenterai, en l’ouvrant, de feindre la surprise, de me remercier pour cette belle attention, de le feuilleter, reconnaissant avec bonheur des mots et des pensées que je pourrai faire miens. Mais, en mon for intérieur, la déception sera grande. Quoi? Cette vieille chose! Me la remettre dans les mains, moi qui avais tenté de l’égarer au fin fond de mon bureau, dissimulée entre des rapports annuels et des numéros de revues savantes reçus gratuitement…
Le passé n’en finit plus de réapparaître avec son air de conquérant.
Des mauvaises langues diront que ma littérature transgénique, dont je rêve la forme entre deux moments de spleen, n’est rien d’autre que ce livre que je me redonne espérant ainsi en réinventer la magie, quand elle a disparu tout aussi assurément que l’enfance vient à passer. Mon projet est une forme avancée de mélancolie, un refus d’affronter l’avenir. Mais c’est faux. Archi faux comme une pièce de Marivaux.
Je ne tiens pas au passé, c’est l’avenir que je vise. Un avenir où les souvenirs ne dépendront plus de la vie qui a été vécue, et dont on regrette amèrement les ratées, mais du présent qui a été rêvé dans les pages d’un livre qu’on s’est redonné à soi-même, comme le plus essentiel des cadeaux. Vous me direz, avec Valéry, que l’avenir n’est plus ce qu’il était. Je les confondrai, ces sceptiques! L’avenir sera fait d’hauteurs béantes et de fréquentes chutes de neige.
Tout sera blanc.
Et je serai heureux.
Glacé, mais heureux.
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1 commentaire:
"Know when you see him,
Nothing can free him.
Step aside, open wide,
It's the loner".
E.G. Roll
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